Xavier Lagarde
Professeur à l’École de Droit de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Avocat associé et Directeur scientifique de DLBA, Société d’avocats

Dans les contrats de quelque importance, spécialement lorsqu’ils se déroulent au long cours, il est d’usage de stipuler une clause de conciliation, doublée d’une clause compromissoire. Cette pratique est de bon ton et, de fait, comment s’opposer au principe d’une conciliation, voire d’un recours à l’arbitrage, spécialement lorsque le contrat présente un caractère international.

Pourtant, il faut bien mesurer les conséquences contentieuses de ces choix contractuels.

Les pièges de la conciliation

Il est aujourd’hui jugé avec constance que « le moyen tiré du défaut de mise en œuvre de la clause litigieuse, qui instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, constituait une fin de non-recevoir » (v. par ex. Cass. civ. 3ème le 19 mai 2016 (Pourvoi n° 15-14.464, publié au bulletin). La clause instituant un préliminaire obligatoire de conciliation est ainsi sanctionnée par une fin de non-recevoir qui peut être sanctionnée en tout état de cause, y compris, pour la première fois, en cause d’appel (Cass. com. 22 février 2005, P. n° 02-11.519 ; Cass. com. 23 octobre 2012, P. n° 11-23.864 ; Cass. civ. 3ème 25 novembre 2004, P. n° 13-23.784). Par un arrêt de chambre mixte, la Cour de cassation juge même que « la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre d’une clause contractuelle qui institue une procédure, obligatoire et préalable à la saisine du juge, favorisant une solution du litige par le recours à un tiers, n’est pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance » (Cass. ch. mixte 12 décembre 2014, P. n° 13-19.684, Bull. ch. mixte ; dans le même sens Cass. civ. 2ème 29 janvier 2015, P. n° 13-24.269).

La sanction de la clause instituant un préliminaire obligatoire de conciliation est donc particulièrement énergique. C’est une fin de non-recevoir, qui peut être utilement invoquée pour la première fois en cause d’appel et demeure insusceptible de régularisation en cours d’instance. Il faut ici préciser que l’absence de régularisation constitue une solution dérogatoire au droit commun dès lors que, selon l’article 126 du code de procédure civile, « dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue« .

Il faut donc savoir qu’en pratique, l’absence de mise en œuvre d’une clause de conciliation peut avoir pour conséquence qu’une partie ayant eu le gain du procès en première instance subisse l’infirmation du jugement pour cause d’irrecevabilité des demandes. Avec, cerise sur le gâteau, si l’on ose dire, une probable acquisition de la prescription lorsque tombe l’arrêt d’appel… L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Quoi qu’il en soit, quiconque signe un contrat comportant une clause de conciliation doit bien mesurer le risque contentieux auquel il s’expose.

Extension du domaine de l’arbitrage

La clause compromissoire surprendra moins ses signataires qu’une clause de conciliation. Les parties qui ont insérées une clause d’arbitrage dans leur contrat connaissent la marche à suivre en cas de différend. Les surprises sont pour les tiers qui auraient tort de penser que leur seule qualité les autorise à tenir la clause pour lettre morte à leur égard.

Dans une opération économique significative, il y a plus de deux intervenants comme il n’y a pas qu’un seul contrat. Il suffit cependant que l’un d’entre eux comporte une convention d’arbitrage pour que tous les intervenants soient de fait concernés, de près ou de loin.

Rappelons tout d’abord que, pour être indépendante, la convention d’arbitrage n’en revêt pas moins un caractère accessoire au contrat auquel elle se rapporte. De la sorte, elle suit le contrat et les créances qui en sont issues, en quelques mains qu’ils se trouvent. En un mot, la clause compromissoire survit à la cession de créance (v. par ex. Civ. 1re, 5 janv. 1999, Bull. civ., n 1 ; Rev. crit. DIP 1999. 536, note E. Pataut). Dans le même ordre d’esprit, la Cour de cassation admet que la clause d’arbitrage s’impose à toute partie venant aux droits de l’un des contractants (Civ. 1re, 8 févr. 2000, Bull. civ., no 36, Rev. arb. 2000. 280, note Gautier), solution aujourd’hui consacrée à l’article 2061 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi sur la modernisation de la justice, également au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui (Civ. 1re, 11 juill. 2006, no 03-11.983). Elle a même jugé que « dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu’accessoire du droit d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne » (Civ. 1re, 27 mars 2007, pourvoi no 04-20842). En matière d’arbitrage international, la Haute juridiction consent au reste une exception plus nette encore au principe de l’effet relatif en posant que « l’effet de la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter » (Civ. 1re, 27 mars 2007, préc. V. également, Civ. 1re, 17 nov. 2010, n° 09-12442, Bull. civ. I n° 240).

Rappelons ensuite l’incidence du principe « compétence-compétence » dont la Cour de cassation déduit que « la juridiction de l’État saisie d’un litige destiné à l’arbitrage doit se déclarer incompétente, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage ». La solution est désormais inscrite à l’article 1448 du Code de procédure civile de sorte qu’en cas d’incertitude sur la compétence arbitrale, l’arbitre a priorité pour la lever. le principe compétence-compétence n’a donc finalement qu’une seule limite sérieuse : la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la clause. Dans l’ensemble, la Cour de cassation développe une interprétation stricte de ces notions. Ainsi n’y a-t-il pas d’inapplicabilité manifeste,

  • lorsqu’il est discuté de l’application d’une clause compromissoire à un tiers au contrat dans lequel la clause est insérée (v. par ex. Civ. 1re, 16 mars 2004, Bull. civ., no 82 ; Civ. 1re, 22 nov. 2005, Bull. civ. I, no 420 ; Com. 21 févr. 2006, no 04-11.030 ; Civ. 1re, 7 juin 2006, no 03-12.034 ; Civ. 1re, 11 juill. 2006, no 03-11.768 ; Rappr. Civ. 1re, 3 févr. 2010, no 09-12.669, Bull. civ., no 26),
  • lorsqu’il est prétendu que le litige, pour être né à l’occasion du contrat, demeure « étranger à la sphère contractuelle » (Civ. 1re, 8 nov. 2005, Bull. civ., no 402, RTD civ. 2006. 143, obs. Ph. Théry),
  • lorsque le litige trouve sa cause dans les pourparlers ayant précédé le contrat (Civ. 1re, 4 juill. 2006, no 05-17.460) ou l’ayant suivi, à l’occasion d’une renégociation de ce dernier (Civ. 1re, 25 avr. 2006, no 05-15.528),
  • encore lorsqu’il existe un doute sur l’acceptation d’une clause compromissoire figurant dans des conditions générales (Civ. 1re, 28 nov. 2006, pourvoi no 04-10384, Bull. Civ. I n° 513. Comp. Civ. 1re, 21 nov. 2006, no 05-21818, Bull. civ. I n° 502 ; Civ. 1re, 20 sept. 2006, no 05-10781, Bull. Civ. I n° 403, Civ. 1re, 23 févr. 2011, n° 10-16.120) ou dans un document dont la valeur contractuelle est contestée (Civ. 1re, 4 nov. 2010, n° 09-12.131).

En pratique, il suffit d’établir que le litige est « en relation avec l’accord contenant la clause d’arbitrage » pour justifier la compétence prioritaire de l’arbitre (Civ. 1re, 30 oct. 2006, no 04-11629, Bull. Civ. I n° 443 ; Civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 10-15968 ; Cass. civ. 1ère 21 septembre 2016, Pourvoi n°15-28.941, P. ; Cass. com. 1er mars 2017, Pourvoi n°15-22.675, P). Comme l’écrit fort justement E. Loquin, « le doute profite nécessairement à la compétence arbitrale »( JCl. Proc. Civ., Fasc. 1020, n° 67).

Que faire en pratique si l’on veut éviter le détour par un arbitrage dont on ne perçoit pas l’opportunité ? Il n’y a pas de remède miracle, mais lorsqu’un contrat s’intègre dans une opération économique qui en comporte plusieurs, il sera prudent de s’inquiéter des clauses de différend qui y sont insérées, à tout le moins de stipuler une clause excluant le recours à l’arbitrage, ce qui doit normalement constituer un cas d’inapplicabilité manifeste d’une éventuelle clause compromissoire insérée dans un autre contrat participant de la même opération économique.

Les affres du cumul clause de conciliation / clause compromissoire

Les justiciables ne sont pas encore au bout de leur peine lorsque l’adjonction d’une clause compromissoire à une clause de conciliation donne l’une et l’autre lieu à contentieux. La Cour de cassation considère « qu’en application du principe « compétence-compétence », il revient à l’arbitre de se prononcer, par priorité, sur les conséquences de la mise en œuvre, par les parties, du préliminaire de conciliation obligatoire », de sorte que l’inobservation des modalités prévues par le contrat pour la recherche de conciliation ne peut délier les parties de l’obligation de se soumettre à la clause compromissoire (Cass. Civ. 1ère 20 avril 2017, Pourvoi n° 16-18.093 ; Cass. Civ. 1ère 6 mars 2007, Pourvoi n° 04-16.204, Publié au bulletin). En clair, cela signifie qu’en cas de différend sur le non-respect d’une clause de conciliation, il faudra préalablement constituer un tribunal arbitral pour éventuellement s’entendre dire que faute d’une exécution correcte de la clause, les demandes sont irrecevables. Cela fait tout de même beaucoup de procédure pour un résultat bien mince.

Alors que les clauses de conciliation et d’arbitrage sont censées apporter un gain d’efficacité dans le traitement des litiges, leur usage insuffisamment réfléchi peut être à l’origine d’authentiques pièges procéduraux, sources d’autant de stratégies dilatoires. Prudence…