Propos recueillis par Christine MEJEAN et Isabelle-Eva TERNIK, avocates.

Chantal MEININGER-BOTHOREL est avocate spécialisée en droit immobilier, de la construction et de l’urbanisme depuis 43 ans
Ancien Membre du Conseil de l’Ordre de Paris

Chantal Meininger-Bothorel, avocate DLBA & Associés

Crédit photo : Isabelle-Eva TERNIK

Avocates, inspirez-nous ! : les origines du projet.

La loi du 1er décembre 1900 a permis aux femmes d’exercer la profession d’avocat.
Olga Balachowsky-Petit a été la première femme à prêter serment en 1900 et Jeanne Chauvin a été la première femme à plaider dans une affaire de contrefaçon de corsets en 1907.
118 ans plus tard, les avocates sont plus de 36.000 en France et représentent plus de 55% des membres de la profession d’avocat en 2018 (1).
Cependant, seules 24,5% d’entre elles sont associées dans les 100 plus grands cabinets d’affaires et leurs revenus moyens sur l’ensemble de leur carrière sont inférieurs de plus de 50% à ceux des hommes (2).
Apprenons à les connaître !
Comment les avocates appréhendent-elles leur métier ? Quelles sont leurs clefs de succès ? Quelles transformations apportent-elles au sein de la profession ? Un immense merci de partager ainsi votre histoire et votre vision !

« Avocates, inspirez-nous ! » est une initiative de Christine MEJEAN et Isabelle-Eva TERNIK, publiée par le site Village de la Justice, qui a pour but le partage d’expériences professionnelles à travers des entretiens menés avec des avocates aux parcours diversifiés.

Ses attentes du métier d’avocat

« Adolescente, j’envisageais de devenir psychiatre. Il s’avère que j’ai toujours été curieuse des gens : j’aime les voir, les écouter, les comprendre. Mon père m’a incitée à m’inscrire à la faculté de droit. Une fois titulaire du CAPA, j’ai effectué différents stages et je me suis cherchée concernant mon domaine d’activité. Ma carrière, je l’ai débutée en rédigeant des mémoires à la Cour de Cassation, car j’étais plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral. Au fil des dossiers, je me suis spécialisée dans le domaine du droit public et de l’immobilier. »

Sa philosophie professionnelle

« Être avocat, c’est stimulant et enrichissant à la fois sur le plan physique et sur le plan intellectuel. Chaque dossier est un défi. J’estime que le métier d’avocat est un art complet, à l’image de l’opéra : il faut jouer sur plusieurs tableaux, car la représentation allie chant (voix), costumes (apparences) et décor (spécificités locales). Ce métier nécessite force, pugnacité, rigueur et précision ».

Son expérience d’élue

« Etant un électron libre, je me suis lancée un défi : Est-ce que quelqu’un qui n’appartient à aucun syndicat peut être élu ? J’en suis la preuve.  Au cours de mon mandat, et lorsque j’étais secrétaire de la commission prospective, nous avons mené de grandes réformes en 2009-2010 : création du statut de l’avocat mandataire immobilier, agent sportif et avocat fiduciaire. De plus, nous avons créé le cumul emploi-retraite. A l’époque, certains avocats ne partaient jamais à la retraite, parce qu’ils auraient eu une toute petite retraite, alors ils préféraient travailler jusqu’à leur dernier souffle. »

Ses caractéristiques d’exercice

« Au début d’un dossier, il est opportun de privilégier la négociation au contentieux. Je pose des questions connexes au client, afin de trouver le trésor qu’il cache sans en avoir conscience et qui peut changer la donne de la stratégie. Pour mener une bonne négociation, il ne faut pas être pressé, sinon c’est fichu. Il faut montrer à l’adversaire que vous disposez de tout le temps nécessaire, le laisser parler, le comprendre : avec subtilité, vous l’amenez à bouger ses lignes. Il est important selon moi de garder son calme et de détendre l’atmosphère avec de l’humour.  Si la situation devient hostile, le basculement vers le contentieux s’avère inévitable. La plaidoirie est alors l’accessoire du principal, car le droit de la construction relève de la procédure écrite : le Tribunal ainsi que la Cour jugent au regard des conclusions. Ma priorité est donc de déposer un dossier bien argumenté, rigoureux et complet. Ma prise de parole vise simplement à mettre en relief deux ou trois éléments délicats du dossier. »

Ses trucs et astuces pour réalimenter le moteur au quotidien

« Je monte à cheval toutes les semaines. Cette activité sportive impose une attention permanente. Vous ne pouvez pas laisser votre esprit divaguer : vous devez être entièrement là dans chaque mouvement que vous faites avec votre cheval. Je vous garantis que l’objectif de se vider la tête est atteint ! »

Son équilibre vie pro – vie perso

« Le métier d’avocat permet une grande flexibilité dans la gestion du temps : il suffit d’être au clair sur ses besoins et ses envies, afin de s’organiser en conséquence. Au début de ma carrière, comme j’avais des enfants en bas âge, j’ai travaillé à mi-temps. Par la suite, j’ai repris un travail à plein temps, tout en veillant à conserver des plages-horaires disponibles pour me ressourcer. Tout au long de ma vie, j’ai su concilier obligations professionnelles et activités personnelles. »

Avez-vous déjà été témoin d’attitudes sexistes ?

« Je n’ai jamais été victime ou témoin de sexisme. »

A votre avis, être une femme est-il un atout dans l’avocature ?

« Être une femme est selon moi un atout, car une femme allie intelligence, intuition et charme. Mesdames, assumez votre féminité et servez-vous en avec humour ! »

Ses conseils aux étudiants

« Il est essentiel de déterminer quelle est votre nature profonde, avant de décider de votre avenir professionnel. Si vous choisissez un métier qui ne correspond pas à votre caractère, votre supplice sera quotidien. De mon point de vue, avocat, ce n’est pas une profession unique mais une multitude de professions. Vous pouvez créer votre poste sur mesure. Vous aimez l’art, vous devenez avocat en propriété intellectuelle. Vous aimez internet, vous devenez avocat en nouvelles technologies. Vous aimez les chiffres, vous devenez avocat fiscaliste. Chacun peut y trouver son bonheur ! »

Ses conseils aux jeunes avocats

« Le métier d’avocat est stressant, peu importe l’âge et l’expérience. Plaider un dossier délicat, c’est comme passer un examen. On ressent du stress à chaque fois, même après 50 ans de barreau (rires) ! On se demande : est-ce que j’ai été bon(ne) ou mauvais(e) ? Quand on perd une affaire dans laquelle on s’est beaucoup investi(e), il est normal d’être très déçu(e). Néanmoins, lorsque vous avez fait de votre mieux, il est contre-productif de vous miner le moral. Pour garder la santé, il est primordial de savoir relativiser tout échec ! »

Sa vision de l’avenir du métier

« Nos valeurs et nos principes essentiels sont la clé de voûte de la profession d’avocat, d’où le rôle primordial de la déontologie. Il existe de nombreuses officines privées, qui proposent de soi-disant conseils juridiques, sans endosser aucune responsabilité et donc sans présenter aucune garantie aux justiciables. L’assurance professionnelle des avocats permet à la profession d’exister et de protéger les citoyens. Il est donc vital de préserver la déontologie. On dit que la profession d’avocat va devenir de plus en plus dure. Moi, j’ai une vision optimiste, car je suis convaincue que les jeunes avocats sauront se saisir des nouveautés techniques, économiques et sociales. Il y a toujours de nouveaux domaines en jachère qui se développent. Ce métier garantit beaucoup de liberté à l’intérieur d’un cadre : tant que vous respectez les règles strictes de la profession et ses valeurs, vous pouvez jouer. Rien n’est écrit d’avance ! »


[1] Source : www.justice.gouv.fr
[2] Source : Rapport Haeri 2017.