La Cour de cassation n’imagine pas plus qu’aucune autre institution sérieuse que les relations de travail soient toujours un tapis de rose. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle s’y tenait le 21 juin dernier un important colloque sur les risques psycho-sociaux en entreprise. Pour autant, le risque existe de donner une part trop importante aux aspects psychologiques du lien salarial. Entre l’employeur et le salarié, la relation est individuelle. Néanmoins, elle s’insère dans un collectif, fait de projets communs, de réussites partagées, de conflits également entre des intérêts qui parfois divergent. A trop insister sur la dimension individuelle et donc psychologique de cette relation, on en perd de vue les aspects objectifs. La confusion entre le normal et le pathologique guette. Là où il y a des mésententes, qui sont le lot de toute association, on verra trop souvent du harcèlement. Qu’on en juge, depuis l’entrée en vigueur de loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, ayant pour la première fois défini et sanctionné le harcèlement moral (« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel »), la Cour de cassation ¬ Chambre sociale et Chambre criminelle ¬, a rendu plus de 2500 arrêts sur la question. Pour les 6 premiers mois de l’année 2018, nous en sommes déjà à plus de 100 dossiers. C’est beaucoup. Consciente de la personnalisation excessive des relations de travail que pourrait susciter une instrumentalisation de la notion de harcèlement moral dans le traitement des difficultés qui affectent celles-ci, la Cour de cassation veille à contenir la notion. Dans cette veine et afin d’éviter qu’une défiance de principe ne s’instaure entre collègues, la Chambre sociale juge dernièrement que « les dispositions de l’article L. 1154-1 du code du travail (qui allège la charge probatoire du salarié qui se prétend victime du harcèlement) ne sont pas applicables lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d’un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement moral » (Cass. soc. 6 juin 2018, Pourvoi n°16-26.490). La Chambre criminelle, à propos du délit de harcèlement moral prévu par l’article 222-33-2 du code pénal, a de son côté jugé que « l’infraction prévue par ce texte n’est constituée que si les propos ou comportements qu’il vise sont répétés » de sorte que l’envoi de plusieurs courriels le même jour ne permet de considérer l’infraction constituée (Cass. crim. 9 mai 2018, Pourvoi n°17-83.623, Publié au Bulletin).