Par Xavier Lagarde
La sécurisation des contrats suppose de limiter les contentieux dont ils peuvent être l’occasion. Un moyen d’y parvenir est de contenir les contestations dans le temps. En première analyse, ce moyen butte sur les dispositions de l’article 2254 du Code civil qui autorisent sans doute les aménagements conventionnels de la prescription, mais précisent que sa durée « ne peut toutefois être réduite à moins d’un an ».
La Cour de cassation admet cependant que les forclusions contractuelles échappent aux dispositions de l’art. 2254 du Code civil, lesquelles ne concernent que les prescriptions, d’où il suit qu’une forclusion contractuelle de quelques mois est admissible alors même que l’art. 2254 tolère les prescriptions conventionnelles pourvu qu’elles ne soient pas d’une durée inférieure à un an (Cass. com. 15 octobre 2013, P. n° 12-21.704, Bull. civ. IV n° 151 ; Cass. civ.. 3ème 12 juin 2014 P. n° 13-17.272). La Cour de Cassation approuve expressément une cour d’appel de juger « que le délai contractuel de trois mois imparti au client pour introduire une demande de dommages intérêts était un délai de forclusion, ce dont il résulte que les dispositions de l’art. 2254 du Code civil n’étaient pas applicables » (Cass. com. 30 mars 2016, P. n° 14-24.874). Dans un contrat par lequel un prestataire s’engageait à assurer la tenue de la comptabilité et le suivi social, a ainsi été validée la clause figurant dans les conditions générales et « stipulant que toute demande de dommages-intérêts devrait être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aurait eu connaissance du sinistre ».
Il est même permis d’introduire une forclusion contractuelle dans un acte notarié. La Chambre commerciale de la Cour de cassation juge ainsi que « la clause limitant le droit d’agir du créancier à une durée déterminée à compter de la clôture du compte, qu’elle figure dans un acte authentique ou sous seing privé, a pour effet qu’à son terme le recours du créancier est atteint par la forclusion » (Cass. Com. 27 mars 2012, Pourvoi n°11-10.103). Elle censure ainsi un arrêt d’appel ayant retenu que la clause contractuelle « ne saurait faire échec au délai de prescription en matière d’exécution d’un titre exécutoire d’une durée de dix ans ».
Si cette jurisprudence ne fait pas l’unanimité en doctrine, elle se comprend à la lumière de l’observation qu’en matière contractuelle, la forclusion est une manière de conditionner dans le temps l’existence des obligations issues d’un contrat. Or, liberté contractuelle oblige, si l’on ose dire, il revient aux parties de définir le contenu et la portée de leurs engagements. Il leur est donc loisible de prévoir que l’existence des droits et obligations issus du contrat est remise en cause par l’absence de diligence d’une partie, quelle que soit l’initiative attendue (pour une étude plus approfondie, v. X. Lagarde, La distinction entre prescription et forclusion à l’épreuve de la réforme du 17 juin 2008, Rec. Dalloz, 8 mars 2018, p. 469 et s. ; http://www.dalloz.fr). La forclusion peut ainsi entraîner l’extinction du droit, faute pour le créancier d’avoir en temps utile engagé une action en justice (Cass. Com. 26 janvier 2016, P. n° 14-23.285, publié au bulletin ; Cass. com. 15 novembre 2016, P. n°14-28.893 ; Cass. civ.. 3ème 12 juin 2014, P. n° 13-17.272 ; Cass. Civ. 2ème 14 octobre 1987, P. n° 86-13.059, Bull. civ. II n° 195) ou un acte de poursuite (Cass. Civ. 2ème 24 juin 2004, Pourvoi n° 02-19.761, Bull. civ. II n° 324) ou même articulé une simple réclamation (Cass. Com. 15 octobre 2013 ; Cass. civ. 3ème 31 octobre 2001, P. n° 99-13.004, Bull. civ. III n° 117).
Attention cependant à ne pas ignorer les limites qu’impose l’ordre public propre à la matière contractuelle. Dans un contrat d’adhésion, il se pourrait que ces forclusions tombent sous la qualification de clause abusive que vise le nouvel article 1171 du Code civil. Dans le même esprit, un délai dont le respect se révèlerait trop difficile à tenir, pourrait conduire un juge à considérer que la forclusion contractuelle découle d’une « clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur », et, selon le nouvel article 1170 du Code civil, à réputer celle-ci non écrite. Même s’il faut en faire un usage prudent, les forclusions contractuelles constituent néanmoins un utile moyen de sécuriser les relations contractuelles.