Par Xavier Lagarde
Professeur à l’Ecole de Droit de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne),
Avocat à la Cour, Associé et Directeur scientifique de DLBA
Sur la nullité des sous-traitances, sujet pointu, mais sensible, la Cour de cassation a récemment fait le choix d’une solution qui préfigure un arrêt de principe. Cette intuition provient de la lecture d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 septembre 2020, qui porte le numéro de pourvoi 18-19.250. Cette décision est un mystère. Inscrivez en effet ces sept chiffres sur le site Légifrance, avec tiret et point placés à bon escient, vous ne la trouverez pas. Existe-t-elle vraiment ? Oui selon toute vraisemblance, car elle fait son apparition dans les banques de données des éditeurs juridiques. Encore qu’on ne la trouve commentée nulle part. Nul grief car il fallait être bien informé pour en prendre connaissance. Mais nul doute enfin de l’intérêt d’éviter qu’elle ne demeure sous les radars, à demi-clandestine. Quelques éléments de contexte pour s’en assurer.
Tous les praticiens versés dans le contentieux des entreprises connaissent le fameux article 14 de la loi du 31 décembre 1975. « A peine de nullité du sous-traité les paiements de toutes les sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l’entrepreneur d’un établissement qualifié ». La disposition protège les intérêts du sous-traitant en ce qu’elle lui assure le paiement de ses prestations par l’effet de la caution bancaire que doit obligatoirement lui fournir l’entrepreneur principal. Cette protection est légitime, mais il n’en reste pas moins que la sanction de son omission se paie parfois à un prix trop élevé.
A défaut de caution, c’est la nullité qui tombe sur le sous-traité. Ce qui permet au sous-traitant, lorsqu’il a exécuté ses obligations, d’en obtenir en quelque sorte le « juste prix », judiciairement fixé, le plus souvent au-delà du prix contractuellement convenu, l’aurait-il été à titre « global et forfaitaire » (v. par ex. Cass. civ. 3ème 13 septembre 2006, Pourvoi n° 05-11.533, P.). Pour le sous-traitant qui tout compte fait, s’estime mal rétribué de ses travaux, la dénonciation du contrat provoque un effet d’aubaine. D’autant que la nullité est à portée de mains. Si la caution n’est pas délivrée lors de la conclusion du sous-traité, la nullité de ce dernier est acquise, quand bien même l’entrepreneur fournirait ultérieurement la garantie bancaire (Cass. civ. 3ème 7 février 2001, Pourvoi n°98-19.937, P.). La recevrait-il avant la fin des travaux que le sous-traitant pourrait encore préférer la nullité du sous-traité à la poursuite de son exécution (Cass. civ. 3ème 18 novembre 2009 Pourvoi n° 08-19.355, P). Serait-il même intégralement payé que la voie de la nullité ne lui serait pas fermée (Cass. civ. 3ème 12 mars 1997, Pourvoi n° 95-15.522, P.).
Ces solutions déroutent. Tout d’abord, l’exigence d’une caution, à défaut d’une délégation, garantit le paiement du sous-traitant, aucunement l’équilibre économique du sous-traité. Il n’entre pas dans les prévisions de l’article 14 de la loi de 1975 de permettre au sous-traitant, payé au prix contractuellement fixé, d’obtenir après coup, une sorte d’augmentation judiciaire. La jurisprudence dénature la règle spéciale, ce qu’elle fait ensuite et de surcroît avec le droit commun. Il est de meilleure doctrine que « la loi de 1975 a toujours été considérée comme une loi de protection du sous-traitant » ((H. Périnet-Marquet, Defrénois 2002, 1027). C’est donc bien de nullité relative qu’il est question, avant comme après la réforme du droit des contrats. D’où cette solution attendue, dès avant la réforme de la prescription de 2008, que « que l’action en nullité fondée sur les dispositions de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 était soumise à la prescription quinquennale prévue par l’article 1304 du Code civil », précisément en raison du caractère relatif de cette nullité (Cass. civ. 3ème 20 février 2002, Pourvoi n° 00-17.406, P.). D’où l’incompréhension que la nature de cette nullité ne semblait pas autoriser la confirmation, attendu qu’un sous-traitant ayant exécuté ses prestations, en ayant été de surcroît intégralement réglé, pouvait encore obtenir la disparition du sous-traité (Cass. civ. 3ème 9 juillet 2003, Pourvoi n° 02-10.644, P.). Au moins fallait-il admettre que, conformément au droit commun, l’exécution en connaissance du vice entachant le sous-traité valait confirmation de ce dernier.
C’est précisément ce qu’admet le mystérieux arrêt du 9 septembre 2020 qui pose en termes généraux que « la violation des formalités de l’article 14, alinéa 1, de la loi du 31 décembre 1975, qui ont pour finalité la protection des intérêts du sous-traitant, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle ce dernier peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l’affectant ». Cette formulation n’est pas inédite dans sa partie incidente. Elle l’est en revanche en ce qu’elle est accolée à la partie principale.
C’est une bonne solution et le seul regret qu’inspire sa lecture est la si faible publicité qui l’accompagne. Le propos qui suit n’est pas de première importance et n’est jamais que l’expression d’une vanité. En 1999, à La Semaine Juridique (éd. G., doctr. 170), le soussigné avait développé des Observations critiques sur la renaissance du formalisme, dans lesquelles il plaidait pour un recul des nullités, au moins lorsque la règle sanctionnée traduit une exigence relevant de formalités protectrices. Sans doute n’y est-il pas pour grand-chose, mais nous y sommes. Car l’arrêt du 9 septembre 2020 prend aisément place dans un continuum jurisprudentiel dont la cohérence ne fait plus mystère. Peut-être est-il encore un peu tôt pour le claironner, mais il semble bien que désormais, il soit permis d’énoncer en termes généraux que les formes imposées aux fins de protéger une partie contractante sont sanctionnées par une nullité relative insusceptible d’être prononcée en cas de confirmation par le seul effet de l’exécution du contrat par la partie protégée, en connaissance de son irrégularité formelle. Cette solution s’étend sans cesse. Qu’on en juge. Le 9 décembre 2020 (Pourvoi n° 18-25.686, P.), la première Chambre civile de la Cour de cassation juge à propos des formalités imposées à l’occasion d’un démarchage à domicile qu’une « cour d’appel a pu déduire que les emprunteurs avaient exécuté volontairement le contrat, en connaissance des vices affectant le bon de commande, ce qui valait confirmation du contrat et les privait de la possibilité de se prévaloir des nullités formelles invoquées ». La troisième Chambre civile s’est plus tôt prononcée dans le même sens à propos des « énonciations que doit comporter le contrat de construction de maison individuelle (et qui) constituent des mesures de protection édictées dans l’intérêt du maître de l’ouvrage, dont la violation est sanctionnée par une nullité relative susceptible d’être couverte » (Cass. civ. 3ème 6 juillet 2011, Pourvoi n° 10-23.438, P). Par un arrêt de chambre mixte du 24 février 2017, les hauts magistrats modifiaient leur jurisprudence sur la sanction des formes qu’impose la loi Hoguet aux professionnels de l’immobilier et décidaient « que la méconnaissance de (ces) règles doit être sanctionnée par une nullité relative » (Pourvoi n° 15-20.411, P.).
D’une certaine manière, cette évolution bienvenue révèle qu’en quelques occurrences, c’est le droit de la procédure qui inspire le droit substantiel. Les processualistes distinguent entre le vice de fond et la simple irrégularité formelle de l’acte, la seconde justifiant l’annulation seulement s’il est justifié de l’existence d’un grief. C’est cette même idée qui inspire désormais les nullités de forme applicables au contrat. La protection des parties faibles est une nécessité, mais l’instrumentalisation du formalisme suscite l’esprit de querelle et l’opportunisme judiciaire. C’est un effet pervers dont on peut se passer.