Baux commerciaux : Le Conseil constitutionnel valide le lissage du déplafonnement

(Cons. const. 7 mai 2020, n° 2020-837 QPC, JO 8 mai)
En application de l’article L. 145-34 du Code de commerce, le montant du loyer d’un bail commercial renouvelé est plafonné en fonction de la variation d’un indice de référence (ILAT ou ILC).

Par dérogation à ce qui précède, le loyer de renouvellement est déplafonné si les éléments pris en compte pour la fixation de la valeur locative (dont les caractéristiques du local et les facteurs locaux de commercialité) ont subi une modification notable.

La loi 2014-626 du 18 juin 2014 (dite loi Pinel) a atténué les effets du déplafonnement du loyer de renouvellement en instaurant un mécanisme de lissage de celui-ci par paliers de 10% annuels (article L.145-34 alinéa 4 du Code de commerce).

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur cette disposition le Conseil constitutionnel a jugé dans une décision du 7 mai 2020 qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, au motif que :

  • en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu éviter que le loyer de renouvellement d’un bail commercial connaisse une hausse importante et brutale de nature à compromettre la viabilité des entreprises commerciales et artisanales. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général ;
  • les dispositions contestées permettent au bailleur de bénéficier, chaque année, d’une augmentation de 10 % du loyer de l’année précédente jusqu’à ce qu’il atteigne, le cas échéant, la nouvelle valeur locative ;
  • les dispositions contestées n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent convenir de ne pas les appliquer, soit au moment de la conclusion du bail initial, soit au moment de son renouvellement.

Le Conseil constitutionnel estime donc le mécanisme du lissage du déplafonnement conforme à la Constitution.

Construction : une expertise amiable ne peut suffire à elle seule à démontrer la réalité d’un désordre

(Cass. 3ème civ., 14 mai 2020, n°19-16.278)
Par un arrêt en date du 14 mai 2020, la Cour de cassation est venue préciser sa jurisprudence sur la portée d’une expertise amiable, c’est-à-dire réalisée hors cadre d’une expertise judiciaire.

Dans un arrêt du 28 Septembre 2012 la Chambre mixte de la Cour de cassation avait déjà jugé que « si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties » (Cass. ch. Mixte, 28 septembre 2012, n°11-18710).

Au cas particulier, un Tribunal d’instance avait condamné une entreprise à indemniser un maître d’ouvrage du coût de travaux de reprise, en se fondant sur un rapport d’expertise amiable à laquelle l’entreprise et son assureur avaient été convoqués.

La Cour prononce la cassation du jugement querellé en considérant que « le tribunal, qui s’est fondé exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties par un technicien de son choix, peu important que la partie adverse y ait été régulièrement appelée » viole l’article 16 du code de procédure civile.

Par cet arrêt, la Cour confirme que qu’une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties ne saurait suffire à elle seule à démontrer la réalité d’un désordre.

En conséquence, la partie dont l’ouvrage est affecté d’un désordre aura intérêt, pour fonder sa demande de condamnation, à recourir à l’expertise judiciaire ou à tout le moins à corroborer une éventuelle expertise amiable d’autres éléments de preuve.

Enfin, cette jurisprudence renforce l’intérêt de recourir au référé-préventif avant travaux sous l’égide d’un expert judiciaire désigné par le Tribunal.

Entretien avec Chantal MEININGER-BOTHOREL pour la chronique Avocates et élues investies, inspirez-nous !

Propos recueillis par Christine MEJEAN et Isabelle-Eva TERNIK, avocates.
Chantal MEININGER-BOTHOREL est avocate spécialisée en droit immobilier, de la construction et de l’urbanisme depuis 43 ans
Ancien Membre du Conseil de l’Ordre de Paris

Chantal Meininger-Bothorel, avocate DLBA & Associés
Crédit photo : Isabelle-Eva TERNIK

Avocates, inspirez-nous ! : les origines du projet.

La loi du 1er décembre 1900 a permis aux femmes d’exercer la profession d’avocat.
Olga Balachowsky-Petit a été la première femme à prêter serment en 1900 et Jeanne Chauvin a été la première femme à plaider dans une affaire de contrefaçon de corsets en 1907.
118 ans plus tard, les avocates sont plus de 36.000 en France et représentent plus de 55% des membres de la profession d’avocat en 2018 (1).
Cependant, seules 24,5% d’entre elles sont associées dans les 100 plus grands cabinets d’affaires et leurs revenus moyens sur l’ensemble de leur carrière sont inférieurs de plus de 50% à ceux des hommes (2).
Apprenons à les connaître !
Comment les avocates appréhendent-elles leur métier ? Quelles sont leurs clefs de succès ? Quelles transformations apportent-elles au sein de la profession ? Un immense merci de partager ainsi votre histoire et votre vision !

« Avocates, inspirez-nous ! » est une initiative de Christine MEJEAN et Isabelle-Eva TERNIK, publiée par le site Village de la Justice, qui a pour but le partage d’expériences professionnelles à travers des entretiens menés avec des avocates aux parcours diversifiés.

Ses attentes du métier d’avocat

« Adolescente, j’envisageais de devenir psychiatre. Il s’avère que j’ai toujours été curieuse des gens : j’aime les voir, les écouter, les comprendre. Mon père m’a incitée à m’inscrire à la faculté de droit. Une fois titulaire du CAPA, j’ai effectué différents stages et je me suis cherchée concernant mon domaine d’activité. Ma carrière, je l’ai débutée en rédigeant des mémoires à la Cour de Cassation, car j’étais plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral. Au fil des dossiers, je me suis spécialisée dans le domaine du droit public et de l’immobilier. »

Sa philosophie professionnelle

« Être avocat, c’est stimulant et enrichissant à la fois sur le plan physique et sur le plan intellectuel. Chaque dossier est un défi. J’estime que le métier d’avocat est un art complet, à l’image de l’opéra : il faut jouer sur plusieurs tableaux, car la représentation allie chant (voix), costumes (apparences) et décor (spécificités locales). Ce métier nécessite force, pugnacité, rigueur et précision ».

Son expérience d’élue

« Etant un électron libre, je me suis lancée un défi : Est-ce que quelqu’un qui n’appartient à aucun syndicat peut être élu ? J’en suis la preuve.  Au cours de mon mandat, et lorsque j’étais secrétaire de la commission prospective, nous avons mené de grandes réformes en 2009-2010 : création du statut de l’avocat mandataire immobilier, agent sportif et avocat fiduciaire. De plus, nous avons créé le cumul emploi-retraite. A l’époque, certains avocats ne partaient jamais à la retraite, parce qu’ils auraient eu une toute petite retraite, alors ils préféraient travailler jusqu’à leur dernier souffle. »

Ses caractéristiques d’exercice

« Au début d’un dossier, il est opportun de privilégier la négociation au contentieux. Je pose des questions connexes au client, afin de trouver le trésor qu’il cache sans en avoir conscience et qui peut changer la donne de la stratégie. Pour mener une bonne négociation, il ne faut pas être pressé, sinon c’est fichu. Il faut montrer à l’adversaire que vous disposez de tout le temps nécessaire, le laisser parler, le comprendre : avec subtilité, vous l’amenez à bouger ses lignes. Il est important selon moi de garder son calme et de détendre l’atmosphère avec de l’humour.  Si la situation devient hostile, le basculement vers le contentieux s’avère inévitable. La plaidoirie est alors l’accessoire du principal, car le droit de la construction relève de la procédure écrite : le Tribunal ainsi que la Cour jugent au regard des conclusions. Ma priorité est donc de déposer un dossier bien argumenté, rigoureux et complet. Ma prise de parole vise simplement à mettre en relief deux ou trois éléments délicats du dossier. »

Ses trucs et astuces pour réalimenter le moteur au quotidien

« Je monte à cheval toutes les semaines. Cette activité sportive impose une attention permanente. Vous ne pouvez pas laisser votre esprit divaguer : vous devez être entièrement là dans chaque mouvement que vous faites avec votre cheval. Je vous garantis que l’objectif de se vider la tête est atteint ! »

Son équilibre vie pro – vie perso

« Le métier d’avocat permet une grande flexibilité dans la gestion du temps : il suffit d’être au clair sur ses besoins et ses envies, afin de s’organiser en conséquence. Au début de ma carrière, comme j’avais des enfants en bas âge, j’ai travaillé à mi-temps. Par la suite, j’ai repris un travail à plein temps, tout en veillant à conserver des plages-horaires disponibles pour me ressourcer. Tout au long de ma vie, j’ai su concilier obligations professionnelles et activités personnelles. »

Avez-vous déjà été témoin d’attitudes sexistes ?

« Je n’ai jamais été victime ou témoin de sexisme. »

A votre avis, être une femme est-il un atout dans l’avocature ?

« Être une femme est selon moi un atout, car une femme allie intelligence, intuition et charme. Mesdames, assumez votre féminité et servez-vous en avec humour ! »

Ses conseils aux étudiants

« Il est essentiel de déterminer quelle est votre nature profonde, avant de décider de votre avenir professionnel. Si vous choisissez un métier qui ne correspond pas à votre caractère, votre supplice sera quotidien. De mon point de vue, avocat, ce n’est pas une profession unique mais une multitude de professions. Vous pouvez créer votre poste sur mesure. Vous aimez l’art, vous devenez avocat en propriété intellectuelle. Vous aimez internet, vous devenez avocat en nouvelles technologies. Vous aimez les chiffres, vous devenez avocat fiscaliste. Chacun peut y trouver son bonheur ! »

Ses conseils aux jeunes avocats

« Le métier d’avocat est stressant, peu importe l’âge et l’expérience. Plaider un dossier délicat, c’est comme passer un examen. On ressent du stress à chaque fois, même après 50 ans de barreau (rires) ! On se demande : est-ce que j’ai été bon(ne) ou mauvais(e) ? Quand on perd une affaire dans laquelle on s’est beaucoup investi(e), il est normal d’être très déçu(e). Néanmoins, lorsque vous avez fait de votre mieux, il est contre-productif de vous miner le moral. Pour garder la santé, il est primordial de savoir relativiser tout échec ! »

Sa vision de l’avenir du métier

« Nos valeurs et nos principes essentiels sont la clé de voûte de la profession d’avocat, d’où le rôle primordial de la déontologie. Il existe de nombreuses officines privées, qui proposent de soi-disant conseils juridiques, sans endosser aucune responsabilité et donc sans présenter aucune garantie aux justiciables. L’assurance professionnelle des avocats permet à la profession d’exister et de protéger les citoyens. Il est donc vital de préserver la déontologie. On dit que la profession d’avocat va devenir de plus en plus dure. Moi, j’ai une vision optimiste, car je suis convaincue que les jeunes avocats sauront se saisir des nouveautés techniques, économiques et sociales. Il y a toujours de nouveaux domaines en jachère qui se développent. Ce métier garantit beaucoup de liberté à l’intérieur d’un cadre : tant que vous respectez les règles strictes de la profession et ses valeurs, vous pouvez jouer. Rien n’est écrit d’avance ! »


[1] Source : www.justice.gouv.fr
[2] Source : Rapport Haeri 2017.

Intervention de Xavier Lagarde à l’occasion du dernier congrès de l’UNIS 2019

Notre associé et directeur scientifique du Cabinet, le Professeur Xavier Lagarde présentait dans les locaux du CESE, lors du dernier congrès annuel de l’UNIS, les incidences des deux réformes du droit des contrats (ord. du 10 février 2016 et loi du 20 avril 2018) sur la pratique des professionnels de l’immobilier. Partie de son intervention peut être désormais visionnée sur le site de l’UNIS

Rencontre du 24 septembre des Professionnels de l’Immobilier Paris-Belgique-Quebec

Le cabinet d’avocats DLBA a accompagné la délégation du Québec dans le cadre de l’Observatoire visant la comparaison des pratiques de gestion de la copropriété (PARIS/QUEBEC/Belgique) pour mener une réflexion sur leur prochaine réforme législative d’envergure du droit de la copropriété.
Notre cabinet d’avocats partenaire de Montréal, le Cabinet GRANDPRE JOLI-CŒUR, ainsi que les instances québécoises telles que le RGCQ (Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec) ou l’OACIQ (Organisme d’auto règlementation du courtage immobilier du Québec) ont été présentées le Président de la FNAIM, Monsieur Jean-Marc TORROLION et le président de l’UNIS, Monsieur Christophe TANAY, accompagnés respectivement de leurs équipes de juristes et de leurs chargés de développement internationaux.

En sa qualité de Président du CNTGI (Conseil National de la Transaction et de la Gestion Immobilière), le professeur Hugues Périnet-Marquet a fait œuvre pédagogique pour expliquer le mode de fonctionnement de l’organe de contrôle et de régulation national des professions d’agents immobiliers et administrateurs de biens.

« Rencontre du 24 septembre des Professionnels de l’Immobilier Paris-Belgique-Quebec » dans le cadre de l’observatoire visant la comparaison des pratiques de gestion immobilière.

Du bon usage des clauses de conciliation et des clauses compromissoires

Xavier LagardeProfesseur à l’École de Droit de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Avocat associé et Directeur scientifique de DLBA, Société d’avocats

Dans les contrats de quelque importance, spécialement lorsqu’ils se déroulent au long cours, il est d’usage de stipuler une clause de conciliation, doublée d’une clause compromissoire. Cette pratique est de bon ton et, de fait, comment s’opposer au principe d’une conciliation, voire d’un recours à l’arbitrage, spécialement lorsque le contrat présente un caractère international.

Pourtant, il faut bien mesurer les conséquences contentieuses de ces choix contractuels.

Les pièges de la conciliation

Il est aujourd’hui jugé avec constance que « le moyen tiré du défaut de mise en œuvre de la clause litigieuse, qui instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, constituait une fin de non-recevoir » (v. par ex. Cass. civ. 3ème le 19 mai 2016 (Pourvoi n° 15-14.464, publié au bulletin). La clause instituant un préliminaire obligatoire de conciliation est ainsi sanctionnée par une fin de non-recevoir qui peut être sanctionnée en tout état de cause, y compris, pour la première fois, en cause d’appel (Cass. com. 22 février 2005, P. n° 02-11.519 ; Cass. com. 23 octobre 2012, P. n° 11-23.864 ; Cass. civ. 3ème 25 novembre 2004, P. n° 13-23.784). Par un arrêt de chambre mixte, la Cour de cassation juge même que « la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre d’une clause contractuelle qui institue une procédure, obligatoire et préalable à la saisine du juge, favorisant une solution du litige par le recours à un tiers, n’est pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance » (Cass. ch. mixte 12 décembre 2014, P. n° 13-19.684, Bull. ch. mixte ; dans le même sens Cass. civ. 2ème 29 janvier 2015, P. n° 13-24.269).

La sanction de la clause instituant un préliminaire obligatoire de conciliation est donc particulièrement énergique. C’est une fin de non-recevoir, qui peut être utilement invoquée pour la première fois en cause d’appel et demeure insusceptible de régularisation en cours d’instance. Il faut ici préciser que l’absence de régularisation constitue une solution dérogatoire au droit commun dès lors que, selon l’article 126 du code de procédure civile, « dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue« .

Il faut donc savoir qu’en pratique, l’absence de mise en œuvre d’une clause de conciliation peut avoir pour conséquence qu’une partie ayant eu le gain du procès en première instance subisse l’infirmation du jugement pour cause d’irrecevabilité des demandes. Avec, cerise sur le gâteau, si l’on ose dire, une probable acquisition de la prescription lorsque tombe l’arrêt d’appel… L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Quoi qu’il en soit, quiconque signe un contrat comportant une clause de conciliation doit bien mesurer le risque contentieux auquel il s’expose.

Extension du domaine de l’arbitrage

La clause compromissoire surprendra moins ses signataires qu’une clause de conciliation. Les parties qui ont insérées une clause d’arbitrage dans leur contrat connaissent la marche à suivre en cas de différend. Les surprises sont pour les tiers qui auraient tort de penser que leur seule qualité les autorise à tenir la clause pour lettre morte à leur égard.

Dans une opération économique significative, il y a plus de deux intervenants comme il n’y a pas qu’un seul contrat. Il suffit cependant que l’un d’entre eux comporte une convention d’arbitrage pour que tous les intervenants soient de fait concernés, de près ou de loin.

Rappelons tout d’abord que, pour être indépendante, la convention d’arbitrage n’en revêt pas moins un caractère accessoire au contrat auquel elle se rapporte. De la sorte, elle suit le contrat et les créances qui en sont issues, en quelques mains qu’ils se trouvent. En un mot, la clause compromissoire survit à la cession de créance (v. par ex. Civ. 1re, 5 janv. 1999, Bull. civ., n 1 ; Rev. crit. DIP 1999. 536, note E. Pataut). Dans le même ordre d’esprit, la Cour de cassation admet que la clause d’arbitrage s’impose à toute partie venant aux droits de l’un des contractants (Civ. 1re, 8 févr. 2000, Bull. civ., no 36, Rev. arb. 2000. 280, note Gautier), solution aujourd’hui consacrée à l’article 2061 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi sur la modernisation de la justice, également au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui (Civ. 1re, 11 juill. 2006, no 03-11.983). Elle a même jugé que « dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu’accessoire du droit d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne » (Civ. 1re, 27 mars 2007, pourvoi no 04-20842). En matière d’arbitrage international, la Haute juridiction consent au reste une exception plus nette encore au principe de l’effet relatif en posant que « l’effet de la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter » (Civ. 1re, 27 mars 2007, préc. V. également, Civ. 1re, 17 nov. 2010, n° 09-12442, Bull. civ. I n° 240).

Rappelons ensuite l’incidence du principe « compétence-compétence » dont la Cour de cassation déduit que « la juridiction de l’État saisie d’un litige destiné à l’arbitrage doit se déclarer incompétente, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage ». La solution est désormais inscrite à l’article 1448 du Code de procédure civile de sorte qu’en cas d’incertitude sur la compétence arbitrale, l’arbitre a priorité pour la lever. le principe compétence-compétence n’a donc finalement qu’une seule limite sérieuse : la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la clause. Dans l’ensemble, la Cour de cassation développe une interprétation stricte de ces notions. Ainsi n’y a-t-il pas d’inapplicabilité manifeste,

  • lorsqu’il est discuté de l’application d’une clause compromissoire à un tiers au contrat dans lequel la clause est insérée (v. par ex. Civ. 1re, 16 mars 2004, Bull. civ., no 82 ; Civ. 1re, 22 nov. 2005, Bull. civ. I, no 420 ; Com. 21 févr. 2006, no 04-11.030 ; Civ. 1re, 7 juin 2006, no 03-12.034 ; Civ. 1re, 11 juill. 2006, no 03-11.768 ; Rappr. Civ. 1re, 3 févr. 2010, no 09-12.669, Bull. civ., no 26),
  • lorsqu’il est prétendu que le litige, pour être né à l’occasion du contrat, demeure « étranger à la sphère contractuelle » (Civ. 1re, 8 nov. 2005, Bull. civ., no 402, RTD civ. 2006. 143, obs. Ph. Théry),
  • lorsque le litige trouve sa cause dans les pourparlers ayant précédé le contrat (Civ. 1re, 4 juill. 2006, no 05-17.460) ou l’ayant suivi, à l’occasion d’une renégociation de ce dernier (Civ. 1re, 25 avr. 2006, no 05-15.528),
  • encore lorsqu’il existe un doute sur l’acceptation d’une clause compromissoire figurant dans des conditions générales (Civ. 1re, 28 nov. 2006, pourvoi no 04-10384, Bull. Civ. I n° 513. Comp. Civ. 1re, 21 nov. 2006, no 05-21818, Bull. civ. I n° 502 ; Civ. 1re, 20 sept. 2006, no 05-10781, Bull. Civ. I n° 403, Civ. 1re, 23 févr. 2011, n° 10-16.120) ou dans un document dont la valeur contractuelle est contestée (Civ. 1re, 4 nov. 2010, n° 09-12.131).

En pratique, il suffit d’établir que le litige est « en relation avec l’accord contenant la clause d’arbitrage » pour justifier la compétence prioritaire de l’arbitre (Civ. 1re, 30 oct. 2006, no 04-11629, Bull. Civ. I n° 443 ; Civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 10-15968 ; Cass. civ. 1ère 21 septembre 2016, Pourvoi n°15-28.941, P. ; Cass. com. 1er mars 2017, Pourvoi n°15-22.675, P). Comme l’écrit fort justement E. Loquin, « le doute profite nécessairement à la compétence arbitrale »( JCl. Proc. Civ., Fasc. 1020, n° 67).

Que faire en pratique si l’on veut éviter le détour par un arbitrage dont on ne perçoit pas l’opportunité ? Il n’y a pas de remède miracle, mais lorsqu’un contrat s’intègre dans une opération économique qui en comporte plusieurs, il sera prudent de s’inquiéter des clauses de différend qui y sont insérées, à tout le moins de stipuler une clause excluant le recours à l’arbitrage, ce qui doit normalement constituer un cas d’inapplicabilité manifeste d’une éventuelle clause compromissoire insérée dans un autre contrat participant de la même opération économique.

Les affres du cumul clause de conciliation / clause compromissoire

Les justiciables ne sont pas encore au bout de leur peine lorsque l’adjonction d’une clause compromissoire à une clause de conciliation donne l’une et l’autre lieu à contentieux. La Cour de cassation considère « qu’en application du principe « compétence-compétence », il revient à l’arbitre de se prononcer, par priorité, sur les conséquences de la mise en œuvre, par les parties, du préliminaire de conciliation obligatoire », de sorte que l’inobservation des modalités prévues par le contrat pour la recherche de conciliation ne peut délier les parties de l’obligation de se soumettre à la clause compromissoire (Cass. Civ. 1ère 20 avril 2017, Pourvoi n° 16-18.093 ; Cass. Civ. 1ère 6 mars 2007, Pourvoi n° 04-16.204, Publié au bulletin). En clair, cela signifie qu’en cas de différend sur le non-respect d’une clause de conciliation, il faudra préalablement constituer un tribunal arbitral pour éventuellement s’entendre dire que faute d’une exécution correcte de la clause, les demandes sont irrecevables. Cela fait tout de même beaucoup de procédure pour un résultat bien mince.

Alors que les clauses de conciliation et d’arbitrage sont censées apporter un gain d’efficacité dans le traitement des litiges, leur usage insuffisamment réfléchi peut être à l’origine d’authentiques pièges procéduraux, sources d’autant de stratégies dilatoires. Prudence…

Évolutions du recours contentieux contre le permis de construire modificatif

(i) Le nouvel article L.600-5-2 du Code de l’urbanisme (créé par la Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite Loi « ELAN ») prévoit désormais que devant les Juridictions administratives, la légalité de l’arrêté valant permis de construire modificatif est, exclusivement, appréciée dans le cadre de l’instance en cours sur le recours dirigé contre le permis de construire initial.
Le texte fixe deux conditions :

  • Qu’une instance portant sur l’appréciation de la validité du permis de construire initial soit effectivement en cours devant la Juridiction administrative ;
  • Et que ce permis de construire modificatif ait été communiqué en cours d’instance aux parties concernées.

A défaut le requérant conserve la faculté de contester le permis de construire modificatif par la voie d’un recours pour excès de pouvoir « classique ».

(ii) Par un arrêt en date du 15 février 2019 (CE, 15 fév. 2019, n°401384), le Conseil d’État a confirmé que les dispositions du nouvel article L.600-5-2 du Code de l’urbanisme sont d’application immédiate, aux instances en cours au 1er janvier 2019, date d’entrée en vigueur de la Loi « ELAN ».

Bien que d’application immédiate, le texte questionne. Dans le cadre de l’instance en cours, et en pratique qui communique quoi et quand ? notamment eu égard au délai de deux mois de recours des tiers contre le permis modificatif.

Selon le texte, il est indifférent que la transmission du permis modificatif au greffe de la Juridiction administrative soit faite par le requérant et/ou le bénéficiaire et/ou la Commune. A l’évidence, elle intervient à la main, et à l’avantage, de la partie qui y a intérêt. Ensuite, le greffe assure une diffusion contradictoire à l’ensemble des parties à l’instance.

Le pétitionnaire, comme la Commune, ont intérêt à communiquer un permis de construire modificatif qui ambitionne de régulariser les vices allégués par le requérant contre le permis initial. En principe, ils devraient pouvoir le communiquer tant que l’instance sur le recours contre le permis de construire initial est en cours. Le Pétitionnaire, comme la Commune, pourraient vouloir prendre avantage en communiquant l’arrêté accordant le permis de construire modificatif, postérieurement à la purge du délai de recours des tiers…

Le requérant peut avoir quant à lui intérêt à le communiquer, pour en contester la régularité. Dans le silence du texte, il y a tout lieu de penser, que le requérant, doit, transmettre au Greffe de la Juridiction, le permis de construire modificatif, dans le délai de deux mois à compter de son affichage continu sur le terrain ; délai en effet imparti aux tiers pour former un recours pour excès de pouvoir contre tout permis de construire.

La sécurité juridique – qui au demeurant sous-tend les réformes actuelles du contentieux de l’urbanisme – l’impose.

Dès lors, on voit poindre les difficultés pratiques.

Si le requérant ne transmet pas au greffe le permis de construire modificatif, dans le délai de deux mois à compter de son affichage, le permis modificatif est en principe définitif et insusceptible de recours.

Toutefois, et si le pétitionnaire et/ou la Commune le transmettent (le cas échéant et à dessein postérieurement à la purge du délai de recours de deux mois) le requérant pourra t’il arguer de cette communication, pour contester la validité du permis de construire modificatif (ce qui reviendrait de facto à remettre en cause le délai de recours), ou sera-t-il considérer comme forclos compte tenu de la purge du délai de recours.

La solution n’est pas évidente. A fortiori, compte tenu de la connexité entre le permis de construire initial et le permis de construire modificatif.

(iii) Devant ce texte nouveau, et qui interroge quant à ses modalités d’application et à ses effets, le décret d’application, qui devait possiblement répondre à ces questionnements, était attendu des acteurs et juristes de la construction.

Le Décret n° 2019-303 pris pour l’application de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme est intervenu le 10 avril 2019 (JORF n°0087 du 12 avril 2019 texte n°34).

Il en ressort limitativement :

  • D’une part, que la contestation du permis de construire modificatif n’est pas assujettie à l’obligation de notification des recours (L’article R.600-1 du Code de l’urbanisme est complété d’un 4ème alinéa qui exclut son application en cas de contestation d’un permis modificatif) ;
  • Et d’autre part, que la cristallisation des moyens est aménagée à cet élément nouveau intervenant en cours d’instance (L’article R.600-5 du Code de l’urbanisme est complété d’un nouveau second alinéa qui prévoit que les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux à l’encontre du permis modificatif passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense le concernant).

Le décret d’application est pour le moins limité.

Il n’apporte pas de réponse franche aux questions pratiques qui se posent.

Faute d’éléments plus concrets et précis dans le décret, il est probable que ce régime législatif et réglementaire nouveau, qui faut-il le rappeler a pour objectif de limiter et de sécuriser le contentieux des autorisations d’urbanisme, génère à l’avenir des moyens et débats judiciaires nouveaux.

A suivre donc.

Immobilier : caractère absolu du droit de propriété

(Cass. 3ème civ. 4 juillet 2019, n° 18-17.119, publié au Bulletin)
Dans cette affaire, des propriétaires ont obtenu en référé l’expulsion des occupants sans droit ni titre d’une parcelle de terrain leur appartenant.

Cette décision ayant été confirmée en appel, les occupants de la parcelle ont formé un pourvoi en cassation sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales prévoyant notamment le droit au respect du domicile de l’occupant.

Plus précisément, les demandeurs au pourvoi soutenaient que la perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile et que toute personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir en faire examiner la proportionnalité par un tribunal.

La Cour de Cassation rejette le pourvoi en jugeant que l’expulsion étant « la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l’ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile de l’occupant, protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété ; qu’ayant retenu à bon droit que, le droit de propriété ayant un caractère absolu, toute occupation sans droit ni titre du bien d’autrui constitue un trouble manifestement illicite permettant aux propriétaires d’obtenir en référé l’expulsion des occupants, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche inopérante, a légalement justifié sa décision ».

Par cette décision, la Cour de Cassation fait primer le droit de propriété en rappelant le caractère absolu de ce dernier.

Assurance-construction : inapplication de la clause d’exclusion de garantie en l’absence de définition contractuelle

(Cass. 3ème civ. 19 septembre 2019, n°18-19616)
Dans cette affaire, un maître d’ouvrage a confié la construction d’un bâtiment agricole à une entreprise assurée auprès du GAN.

Après interruption des travaux et expertise judiciaire, le maître d’ouvrage a assigné l’entreprise et son assureur en réfection de la charpente et indemnisation.

En appel, la Cour a rejeté la demande de garantie de l’entreprise envers son assureur en retenant l’application d’une clause d’exclusion de garantie en cas de violation des règles de l’art.

La Cour de cassation censure cette décision au motif que « la clause d’exclusion visant les dommages résultant d’une méconnaissance intentionnelle, délibérée ou inexcusable des règles de l’art et normes techniques applicables dans le secteur d’activité de l’assuré ne permettait pas à celui-ci de déterminer avec précision l’étendue de l’exclusion en l’absence de définition contractuelle de ces règles et normes et du caractère volontaire ou inexcusable de leur inobservation ».

Cette décision confirme le caractère résolument protecteur pour l’assuré de la jurisprudence en matière de clauses exclusives de garantie.

Sous-location / AirBnB : les loyers issus d’une sous-location non autorisée reviennent au bailleur

(Cass. 3ème civ., 12 septembre 2019, n°18-20.727, publié au Bulletin)
Dans cette affaire, une SCI avait donné à bail un appartement à un couple suivant contrat de location en date du 16 avril 1997.

Le 8 avril 2014, l’appartement a été vendu et le nouveau propriétaire a délivré aux locataires un congé pour reprise à son profit, puis les a assignés en validité du congé.

Ayant constaté que les locataires avaient sous-loué l’appartement pour des séjours de courte durée, le nouveau propriétaire a également sollicité le remboursement des sous-loyers en exécution de son droit d’accession.

Aux termes d’un arrêt inédit destiné à la publication, la Cour de cassation rappelle qu’en application des articles 546 et 547 du Code civil, « sauf lorsque la location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire. »

Par conséquent, la Cour de cassation approuve la condamnation des locataires à rembourser leur propriétaire des sommes perçues grâce à la sous-location irrégulière de leur appartement.