DLBA fait jurisprudence

Dans un arrêt du 12 juillet 2018 (Pourvoi n°17-20.627) ayant eu les honneurs d’une « Publication au Bulletin », rendu au bénéfice des clients que le cabinet avait défendu avec succès devant les juges du fond, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a jugé que :

  • « l’action engagée (…) sur le fondement de la faute dolosive du constructeur, s’analysait en une action contractuelle et que, attachée à l’immeuble, elle était transmissible aux acquéreurs successifs » ;
  • « une violation délibérée et consciente de ses obligations contractuelles » suffit à caractériser une faute dolosive du constructeur.

Le premier attendu confirme une jurisprudence acquise sur la nature contractuelle de l’action fondée sur la faute dolosive du constructeur. Le second attendu est significatif d’une évolution de la conception de la faute dolosive propre au constructeur. Alors qu’elle exigeait auparavant « une violation par dissimulation ou par fraude de ses obligations contractuelles » (Cass. Civ. 3ème 27 mars 2013, Pourvoi n°12-13.840, Bull. civ. III n°39), la cour de cassation semble aujourd’hui admettre qu’« une violation délibérée et consciente de ses obligations contractuelles » pour retenir la faute dolosive du constructeur. A suivre…

Faut-il abandonner la jurisprudence cesareo ?

Par Xavier Lagarde.
Plus une matière se nourrit de la jurisprudence et plus les juristes y distribuent les patronymes. En Assemblée plénière, la Cour de cassation a jugé le 7 juillet 2006 (Pourvoi n° 04-10.672) « qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ». Telle est la jurisprudence Cesareo qui consacre le principe dit de concentration des moyens. Ce revirement de jurisprudence continue faire trembler les conseils des parties, toujours en crainte d’avoir oublié un moyen sans pour autant disposer d’une session de rattrapage. Lorsqu’il y a un litige, il faut tout dire et tout de suite.

Lors des débats ayant conduit les Hauts magistrats à consacrer ce principe, plusieurs expressions sont revenues : loyauté procédurale, harcèlement judiciaire et gestion des flux. L’obligation d’exposer dès l’instance initiale l’ensemble des moyens serait, pour les justiciables, un gage de « sécurité judiciaire », un gain pour la loyauté, une défaite du harcèlement. L’institution judiciaire trouverait également avantage à une solution permettant d’assécher les plus mauvais flux dont les rôles sont encombrés.

Il faudrait une étude chiffrée pour le démontrer, mais il est probable que les attentes ont été déçues. L’observation est courante au Palais : si la jurisprudence Cesareo fait trembler les conseils des parties, elle suscite dans le même temps un contentieux qui se noue sur son exacte portée, accessoirement des écritures surchargées, voire amphigouriques, comme s’il fallait tout écrire pour être sûr de ne rien oublier. Au reste, une brève utilisation du site « Legifrance » montre qu’en recherche experte, l’entrée par l’expression exacte « autorité de la chose jugée » conduit à dénombrer 10768 arrêts de la Cour de cassation. 4283 sont postérieurs à l’arrêt du 6 juillet 2006. Pour la période ayant couru du 6 juillet 1996 au 6 juillet 2006, d’une durée à peu près équivalente à celle ouverte par la jurisprudence Cesareo, et toujours selon le même procédé, il n’y a que 2515 arrêts. Il faut sans doute ne pas solliciter les chiffres. Tous les arrêts qui contiennent l’expression « autorité de la chose jugée » n’ont pas nécessairement statué sur l’application des articles 1351 (devenu 1355) du Code civil ou 480 du code de procédure civile. Pour autant, les éléments recueillis en première observation constituent des indices sérieux d’une absence de décrue du contentieux de la chose jugée.

Il est probable que cette déception procède d’une erreur de diagnostic qui constitue, malheureusement depuis quelques années le « marronnier » de la plupart des réformes en procédure civile. C’est l’obsession de la loyauté, cette croyance absurde et dangereuse que les maux de la procédure ont pour cause la mauvaise foi des plaideurs. Les procès sont des combats et les prétoires, une terre d’accueil pour les esprits querelleurs. Pour autant, la quérulence est une pathologie. La norme est bien différente. Le plaideur qui soumet de nouveau ses prétentions à un juge est en fait assez rare. Et s’il se décide à engager les frais d’une seconde procédure, c’est en réalité qu’ayant fait son examen de conscience après un premier échec, il estime qu’autrement étayée, sa cause a désormais plus de chances de prospérer. La déception et l’espoir sont les ressorts d’un second procès, bien plus souvent que l’intention de nuire et le goût de la dispute. Or, la règle se fixe en considération de la norme. C’est aux exceptions qu’il revient de traiter les divergences. C’est ainsi que la bonne foi se présume, que, néanmoins, la fraude corrompt tout. Dans le même esprit, le droit d’agir est un droit fondamental qui s’exerce librement, même s’il arrive, en quelques occurrences, que tel un ou tel autre en abusent. Dans les hypothèses assez rares où un justiciable renouvelle son action avec pour unique ambition de causer un trouble à son adversaire, il y a donc des moyens de sanctionner la mauvaise foi, sans compter les marges de manœuvre dont dispose le juge lorsqu’il applique l’article 700 du code de procédure civile. La crainte du dilatoire et du harcèlement comme principe de régulation est d’autant plus infondée que, depuis la réforme du 17 juin 2008, la durée de la prescription de droit commun est de 5 ans et qu’il est des prescriptions plus courtes, sans même compter les nombreuses forclusions. L’insécurité judiciaire ne dure qu’un temps.

Les insuffisances et les travers des justiciables et de leurs conseils ne sont donc pas tels qu’il faille rêver d’une procédure conduite par de parfaits plaideurs. Ce serait faire l’un de ces rêves dont on sort de méchante humeur. L’unique ambition de prévenir la mauvaise foi conduit en réalité à la présumer et à constituer la défiance en norme de comportement. Les bonnes mœurs du Palais consistent alors à présumer les mauvaises manières de tous ceux qu’on y croise. De cet état d’esprit, la dégradation des relations entre les juges et les avocats est sans doute le meilleur témoin.

Le moment est venu, avec 10 ans de recul, d’apprécier les mérites de cette jurisprudence contestée.

Le projet de loi PACTE (ou projet dit LEMAIRE)

Le projet de loi PACTE (pour Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises), présenté en Conseil des Ministres le 18 juin dernier se veut ambitieux. Selon les mots du Ministère, il « ambitionne de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois. Élaboré selon la méthode de la co-construction avec tous les acteurs, le projet de loi a été présenté en Conseil des ministres le 18 juin 2018 ». Que prévoit-il ?
– D’abord des changements symboliques. Il est à prévoir que désormais, l’article 1833 du Code civil, qui rappelle qu’une société est « constituée dans l’intérêt commun des associés », dispose désormais qu’elle l’est aussi en considération des « enjeux sociaux et environnementaux inhérents à son activité » ; d’ailleurs, les statuts d’une société pourront désormais intégrer « un projet entrepreneurial répondant à un intérêt collectif » ;

– Ensuite et surtout, des nouveautés plus opérationnelles.

  • Création d’une plateforme en ligne unique aux fins de permettre la création d’une entreprise ;
  • Une simplification des seuils applicables au PME ; il n’y en aurait plus que 3 : 11, 50 et 250 salariés ; également, un relèvement des seuils de certification légale des comptes, cette dernière imposée aux entreprises remplissant 2 des 3 conditions suivantes : bilan supérieur ou égal à 4 millions d’euros, CA supérieur ou égal à 8 millions d’euros, effectif de 50 salariés et plus ;
  • Une clarification du droit des sûretés ; le projet ne donne pas de détails, mais on comprend qu’il s’agit de lever les hésitations nées de l’interprétation des dispositions issues l’importante réforme de 2006 ;
  • L’instauration de la liquidation judiciaire simplifiée pour toutes les entreprises de moins de 5 salariés ;
  • Encouragement de la transmission de l’entreprise aux salariés par un assouplissement du crédit d’impôt rachat des entreprises.

On trouvera l’ensemble du projet sur le site economie.gouv.fr. A noter au passage, les privatisations programmées d’Aéroports de Paris et de la Française des Jeux et la suppression de la contrainte de détention d’une partie du capital d’ENGIE par l’Etat.

Les servitudes, encore et toujours

Notre monde urbanisé multiplie les questions de voisinage. Le droit des servitudes, dont les règles sont énoncées dans notre code civil (art. 637 et s.), peu modifié à cet égard depuis 1804, reste en conséquence un droit en mouvement dont l’application est souvent sollicitée. Le propriétaire d’un fonds bénéficiant d’une servitude sur un autre est titulaire d’un droit réel. Pour autant, celui-ci ne lui donne pas la vocation d’un propriétaire, dont le titre sur le sol lui donne également accès au sous-sol. Ainsi la troisième Chambre civile de la Cour de cassation vient-elle de rappeler qu’« une servitude de passage ne confère le droit de faire passer des canalisations dans le sous-sol de l’assiette de la servitude que si le titre instituant cette servitude le prévoit » (Cass. civ. 3ème 14 juin 2018, Pourvoi n° 17-20.280, Publié au Bulletin).

Quand le Conseil constitutionnel s’intéresse à l’immobilier…

– Par une décision n°2018-698 QPC du 6 avril 2018, le Conseil constitutionnel juge que ne méconnaît ni le principe d’égalité devant la loi, ni le droit de propriété, l’article L.561-1 du code de l’environnement, qui, rappelons-le, permet l’expropriation pour cause d’utilité publique « lorsqu’un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d’affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d’avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines » ; les propriétaires de biens exposés à l’érosion côtière sont concernés ;
– Avec la bénédiction du Conseil constitutionnel (décision n° 2018-697 QPC du 6 avril 2018), L’Assistance publique (Hôpitaux de Paris, Lyon et Marseille) peut résilier les baux consentis sur son patrimoine immobilier pour y loger ses personnels. « En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre à ces trois groupes hospitaliers situés dans des zones où le marché du logement est particulièrement tendu de loger leurs agents à proximité de leurs différents sites pour assurer la continuité du service public » Le service public a parfois bon dos…

– Les particuliers qui pratiquent le LMP peuvent au contraire se réjouir ; il ne leur est plus nécessaire de justifier d’une inscription au Registre du commerce et des sociétés pour bénéficier de l’exonération des plus-values prévue par l’article 151 septies du CGI (décision n° 2017-689 QPC du 8 février 2018).

Du bon usage de la médiation dans le contentieux des affaires

Xavier Lagarde, Professeur agrégé des facultés de droit, Avocat associé et directeur scientifique du cabinet
La médiation donne aux parties la maitrise de l’issue du litige

Question : Pourquoi recourir à la médiation dans le contentieux des affaires ?

Réponse X.L. : Tout simplement parce qu’un procès dure longtemps, que son issue est aléatoire et son coût généralement élevé, au moins lorsque les procédures s’éternisent. De surcroît, celles-ci peuvent faire une mauvaise publicité aux entreprises concernées. L’arbitrage offre il est vrai une certaine discrétion et, dans l’ensemble, une justice de grande qualité. Mais l’aléa demeure et le coût souvent prohibitif pour des opérateurs de taille moyenne. La médiation, en tout cas l’issue négociée, est donc souvent préférable. Elle donne la maitrise de la solution du litige, elle opère rapidement et les frais qu’elle engendre restent raisonnables.

La médiation est un remède, attention, elle ne fait pas de miracles

Question : A vous entendre, on a l’impression que la médiation est le remède miracle ?

Réponse X.L. : C’est un remède parmi d’autres. Croire que la médiation fait en toute occurrence des miracles est une vue de l’esprit. Elle fonctionne dans certains cas, bien moins dans d’autres. Au reste, la médiation est plurielle. Il vaudrait mieux d’ailleurs parler de résolution amiable des différends, ce qui laisse entendre une pluralité de méthodes disponibles, qu’il faut savoir utiliser en considération des particularismes de tels ou tels litiges.

Les différents visages de la médiation : restauration, solution, « paix des braves »

Question : quels sont donc les différents types de médiation ?

Réponse X.L. : Empiriquement, j’identifie trois modèles. La médiation peut d’abord se comprendre comme une réparation. Elle permet ainsi de restaurer une relation d’affaires durable, un temps obstruée par le litige que, précisément, la médiation permet de dépasser. La médiation peut être aussi une solution qui fonctionne alors comme un substitut de la décision de justice. Les parties n’ont pas vocation à poursuivre leurs relations, mais elles veulent se séparer dans des conditions juridiquement acceptables et elles sollicitent le médiateur aux fins qu’il les identifie. Il existe enfin ce qu’on pourrait appeler la médiation « paix des braves » qui intervient au cours de procès interminables et qui réussit parfois. Le droit est très incertain et il faut alors un médiateur d’expérience qui permette aux parties de comprendre où se trouvent les clefs d’une sortie équitable.

Une bonne médiation suppose évidemment des capacités d’écoute,
Elle requiert également une solide expertise juridique.

Question : dans ces différentes formes de médiation, j’imagine que vous ne préconisez pas la même méthode ?

Réponse X.L. : Vous avez tout-à-fait raison. En fait, je pense qu’il y a deux méthodes. Elles ne sont pas exclusives l’une de l’autre et, au reste, elles n’existent pas à l’état chimiquement pur, si j’ose dire. Elles constituent en quelque sorte 2 modèles, deux points entre lesquels il y a tout un nuancier de méthodes à exploiter selon la posologie adaptée. Le premier modèle, c’est celui, pourrait-on dire, de la thérapie. Le médiateur doit alors se garder de formaliser le différend, il confie les parties plutôt qu’il ne les entend, il évite les confrontations contradictoires et les échanges d’arguments, il voit les intérêts bien plus que les droits. Le second modèle, c’est celui de l’expertise. Il fonctionne déjà très bien dans les expertises avant tout procès.

Il n’est pas rare que, dans les domaines techniques comme celui de la construction, les parties s’entendent sur les conclusions de l’expert désigné dans els conditions de l’article 145 du CPC.

Mais dans la médiation, l’expertise peut être étendue au domaine du droit. Le médiateur est souvent entendu du fait qu’il est en capacité d’expliciter de manière sérieuse ce que serait l’issue probable du litige s’il faisait l’objet d’un règlement juridictionnel. Les parties veulent savoir et se décider en connaissance de cause. C’est une autre façon de faire de la médiation, qui fonctionne tout aussi bien que la première. Il faut savoir manier les deux outils.