A propos de la « Commission Nallet »

Xavier Lagarde
De quoi s’agit-il ?

La Cour de cassation vient en effet d’annoncer la réforme du mode de rédaction de ses arrêts à effet du 1er octobre 2019. Les deux traits les plus marquants de cette réforme rédactionnelle sont les suivants :

  • « Le style en sera direct, sans ’attendu’ ni phrase unique. Les paragraphes seront numérotés. Les grandes parties composites de l’arrêt seront clairement identifiées : 1. Faits et procédure ; 2. Examen du ou des moyens ; 3. Dispositif. »
  • « Les arrêts les plus importants (revirement de jurisprudence, solution de droit nouvelle, unification de la jurisprudence, garantie de droits fondamentaux…) bénéficieront à l’avenir, plus systématiquement, d’une motivation développée (enrichie) »

Cette modernisation peut susciter l’approbation. Elle ne trompe cependant personne sur la volonté de ces auteurs de rendre inéluctable la réforme du traitement des pourvois. A partir du 1er octobre 2019, la cour de cassation jugera mieux, quelques mois plus tard, elle jugera moins. Parce qu’entretemps, une procédure de filtrage des pourvois en cassation aura été mise en place. Tel est le projet sur lequel planche actuellement la Commission dite NALLET, installée par Madame le Garde des sceaux le 20 décembre 2018.

Il faut se souvenir que 14 avril 2018, la Cour de cassation a proposé d’introduire un nouvel article L.411-2-1 dans le COJ, ainsi rédigé :

En matière civile, le pourvoi en cassation est, hors les pourvois du procureur général près la Cour de cassation visés aux articles 17 et 18 de la loi n° 67-523 du 3 juillet 1967, soumis à autorisation. La Cour de cassation n’autorise le pourvoi que :

  • 1 – si l’affaire soulève une question de principe présentant un intérêt pour le développement du droit ;
  • 2 – si l’affaire soulève une question présentant un intérêt pour l’unification de la jurisprudence ;
  • 3 – si est en cause une atteinte grave à un droit fondamental. Toutefois, l’autorisation n’est pas requise pour les matières dans lesquelles l’examen du pourvoi obéit à des délais particuliers.

Il est précisé que l’autorisation est délivrée par une formation de la chambre « dont relève la chambre compte-tenu de la matière », présidée par le président de la chambre et composée d’un doyen et d’un conseiller ou d’un conseiller référendaire désigné par le président de la chambre. Naturellement et comme on pouvait s’y attendre, la décision de rejet de la demande d’autorisation « n’est pas susceptible de recours ».

Le souhait exprimé est que la cour de cassation ait uniquement à connaître des affaires « les plus importantes », pour reprendre les termes du communiqué annonçant la réforme rédactionnelle des arrêts de la cour de cassation. Les arrêts que devrait rendre la Cour de cassation serait exclusivement ceux qui portent aujourd’hui la mention « publié au Bulletin », et encore, peut-être serait-ce moins.

Notre actuel Garde des Sceaux a jugé pertinent de réunir la Commission pour apprécier la « proposition du 14 avril 2018 mais elle a également souhaité étendre la réflexion afin que celle-ci porte sur une réforme d’ensemble des voies de recours. Le point de départ de cette nouvelle mission pourrait être la proposition formulée dans l’avis de mai 2015 de la conférence des premiers présidents sur l’architecture générale de la chaîne des recours judiciaires, ainsi rédigé :

  • le renforcement des juridictions de première instance par un recours de principe à la collégialité qui doit s’accompagner d’une généralisation des modes alternatifs de traitement des litiges, tout particulièrement de la médiation, et de l’instauration, de principe, de 1’exécution provisoire des décisions de première instance,
  • l’abandon de l’appel voie d’achèvement et le retour à la tradition française de l’appel réformation avec toutefois des aménagements pour tenir compte, par exemple, de la survenance de faits nouveaux entre le premier et le second degré de juridiction,
  • sous réserve de la définition précise des cas d’ouverture du pourvoi, l’instauration d’une procédure d’autorisation d’exercice d’un pourvoi en cassation (…)

Monsieur le Président B. Pireyre est d’un avis semblable lorsqu’il écrit que le projet de filtrage des pourvois « s’inscrit dans une perspective, à moyen ou long terme, de refonte de l’architecture des recours. Ce schéma d’ensemble verrait consacrer la juridiction de première instance comme le juge naturel de l’achèvement normal du procès, la juridiction du second degré comme le juge chargé de contrôler et, le cas échéant, de redresser la régularité, la légalité et la qualité du jugement du premier degré, la Cour de cassation, enfin, comme le juge du droit, investi d’un office principalement recentré sur sa mission normative. » (GAZETTE DU PALAIS – mardi 15 mai 2018 – n° 17, p. 86).

Tel est donc ce qu’on nous propose et qui fait l’objet de discussions devant une commission dont pour l’heure nous ignorons tout, sauf la composition.

Vers où allons-nous ?

Le projet marque un affaissement du tréfonds théorique de notre procédure civile contentieuse. Ce n’est pas un jugement, c’est un fait.

Grâce aux lumières de Motulsky, les fondements de la procédure civile moderne peuvent être synthétisés d’une phrase : au contentieux, le juge tranche le litige en disant le droit, au contradictoire des parties. Les deux textes qui explicitent cette double exigence sont les article 12 et 16 du CPC. Le filtrage des pourvois et la refonte de l’architecture des recours n’effacent pas ces deux textes, mais ils n’en font plus une priorité.

Pour l’article 12, c’est une évidence. Le projet de filtrage conduira la Cour de cassation à examiner les questions nouvelles, à provoquer des revirements, à résoudre les divergences de jurisprudence et à sanctionner les atteintes graves aux droits fondamentaux. Cette dernière mission semble d’ailleurs la plus éminente car, selon le premier Président lui-même, le filtrage des pourvois a pour fin dernière d’« accorder toute l’importance qu’il convient à la garantie des droits fondamentaux ». Alors que le pourvoi en cassation reste théoriquement ouvert, une décision de justice ayant mal appliqué une règle de droit dont l’interprétation n’entrera plus dans le nouvel office des hauts magistrats pourra donc trouver place dans notre ordonnancement juridique. Bien sûr, les juges continueront de trancher les litiges en droit. Mais les règles qu’ils appliqueront ne constitueront en quelque sorte qu’un « petit droit » (pour reprendre à front renversé la formule de Carbonnier), i.e. outillage technique facilitant la résolution rapide des différends, quel qu’usage qu’on en fasse. D’une telle réforme, l’article 12 sort sensiblement appauvri.

Le diagnostic est inexact, dit-on car l’instance de veille de la bonne application de la règle descendra d’un cran dans la hiérarchie des juridictions. Il reviendra aux cours d’appel, comme l’écrit le Président Pireyre « de contrôler et, le cas échéant, de redresser la régularité, la légalité et la qualité du jugement du premier degré ». Cela suppose logiquement de faire de l’appel une voie de réformation, ce qui peut aller jusqu’à l’interdiction des moyens nouveaux, exactement comme devant la cour de cassation, sauf s’ils sont de pur droit. La comparaison n’est pas fortuite car une pure voie de réformation est en réalité une voie de cassation. Dans cette configuration, les seconds juges auront à cœur de concentrer leur attention sur les éléments objectifs de la décision déférée1. Ils n’ont pas vocation à revenir sur les appréciations souveraines des premiers juges qui relèvent d’une intime conviction rétive à tout contrôle, sauf celui des consciences. Au reste, si les cours d’appel sont instituées en juge des décisions, plutôt que des affaires – ce qui, soit dit en passant, constitue l’exact contraire de la proposition de Motulsky2, elles se garderont de prendre parti sur des preuves que les premiers juges auront examinées plus attentivement qu’eux-mêmes ne souhaiteraient le faire. Ainsi les cours d’appel deviendront-elles des chambres régionales de cassation. Elles disposeront d’ailleurs d’une importante marge de manœuvre dans l’accomplissement de cet office puisque leurs éventuelles erreurs de droit ne seront plus systématiquement sanctionnées. Ce qui soit dit en passant ne rassure pas vraiment sur le devenir de l’article 12.

Cette évolution préfigure une altération de l’exigence de contradiction, au moins lorsque celle-ci s’applique dans les rapports entre le juge et les parties. En France, le dialogue entre le juge et les parties est peu développé de sorte qu’en réalité, appliquée au juge, la contradiction demeure peu effective. Le principal vecteur de cette contradiction, c’est en pratique le recours qui, par un second jugement de l’affaire, permet en quelque sorte de soumettre à un débat devant les seconds juges l’initiative prise par les premiers. Pour les juges d’appel, le jugement attaqué est un premier apport à la résolution du litige qu’il y a lieu de considérer sous l’angle du dialogue bien plus que de la censure ; en quelque sorte, la prise en considération de l’analyse des premiers juges permet d’établir une contradiction à distance. Le jugement est un révélateur : il projette sur le litige une analyse extérieure dont la discussion permettra d’améliorer l’instruction et la solution. Se priver de cela, par l’abandon définitif de l’appel voie d’achèvement, c’est en pratique réduire à peu de choses la mise au débat des initiatives du juge. L’article 16 en souffre et en conséquence la qualité de la justice civile dont le principal ressort est l’échange des points de vue que permet la contradiction.

Envisagé dans sa globalité, le projet de réforme porte la réalisation d’une justice à double détente :

  • Celle des « affaires de peu » pour lesquelles l’ambition est de parvenir au plus vite à une décision définitive dotée de tous les effets qui s’attachent à l’acte juridictionnel et à l’acte instrumentaire qui le matérialise : autorité de chose jugée et force exécutoire ;
  • Celle des « affaires importantes » pour lesquelles, au-delà du reste de la distinction du fait du droit, l’issue définitive se dessinera en haut lieu, à la faveur d’un office renouvelé de la Cour de cassation.

Pour la plupart des auteurs, cette perspective laisse perplexe. Espérons que la Commission NALLET nous proposera d’autres voies de réforme.

1 – V. sur ce point nos contributions, L’esprit d’une réforme , JCP éd. G., 26 mars 2018, supplément au n°13 ; L’achèvement du procès, principale utilité de l’appel, Gaz. Pal. 31 octobre 2016.
2 – Motulsky écrivait dès 1953 que « le juge d’appel n’est pas un censeur, il doit juger les affaires et non les jugements » ; Etudes et notes de procédure civile, Dalloz 1973, spéc. p. 13 et n° 8, p. 20.

L’impact de la réforme du droit commun des contrats sur les professionnels de l’immobilier (Loi Hoguet)

Restitution de la Conférence faite par Xavier Lagarde au Forum de l’UNIS, le 4 avril 2019
Aucune profession n’échappe au droit commun. Même dans les secteurs les plus réglementés. Les banquiers s’en souviennent lorsque sur le fondement de la théorie de la cause (sur la définition de laquelle, la doctrine n’est jamais parvenue à s’entendre), la Cour de cassation a sanctionné la pratique des dates de valeur, ou encore, lorsque certains juges du fond ont imaginé que les taux variables en fonction du taux de base bancaire étaient irréguliers pour être contraires à l’exigence de détermination de l’objet. Les assureurs également qui ont dû batailler de longues années pour obtenir, après que la jurisprudence ait prononcé leur nullité, toujours sur le fondement de la théorie de la cause, la validité partielle des clauses limitant dans le temps les garanties subséquentes. Les professionnels de l’immobilier également lorsque la cour de cassation a jugé qu’au motif que les obligations de faire se résolvent en dommages et intérêts (par la suite, la motivation a évolué), le promettant peut rétracter sa promesse pendant le délai d’option.

Le droit commun est une toile de fond et il est normal que ses évolutions ne soient pas la préoccupation majeure de professionnels qui ont déjà fort à faire pour être conformes aux règles qui encadrent leur activité. Pour autant, il arrive que la toile se resserre et la sanction peut faire mal.

Specialia generalibus derogant

La réforme du droit des contrats par l’ordonnance du 10 février 2016, puis, plus partiellement par la loi de ratification du 20 avril 2018, a introduit à l’article 1105 du code civil la règle suivante : « Les règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières ».

Ce texte ne dit pas grand-chose.

Il faut savoir que la réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance n’a pas fait que des heureux. Notamment, les sénateurs se sont sentis floués et ils ont souhaité que la loi de ratification soit l’occasion d’aménagements. A défaut d’aménagements, ils ont pris soin de donner leur interprétation des textes de l’ordonnance. Précisément, à propos de l’article 1105, il est exposé dans le Rapport PILLET que :

« Votre commission estime que le silence du droit spécial, de même que sa simple compatibilité avec le droit commun ne peuvent pas conduire automatiquement à l’application du droit commun : une appréciation au cas par cas devra être assurée, en prenant en compte la cohérence interne du droit spécial, car une application simultanée du droit commun et du droit spécial, même si elle est formellement possible, n’est pas toujours pertinente et justifiée. En particulier, l’application du droit commun ne peut conduire à dénaturer la cohérence ou méconnaître l’esprit du droit spécial. »

Au cours des débats, les sénateurs se montrent plus audacieux. Le Rapporteur énonce « l’importance des travaux préparatoires » qui, ose-t-il, « lient le magistrat ». Autant le dire tout de suite, c’est un rêve de sénateurs. Les travaux préparatoires sont un élément d’interprétation parmi d’autres, rien de plus. Ils ne sont rien de plus en vertu du principe de la séparation des pouvoirs. Ils sont d’autant moins qu’ils précèdent des textes de portée générale sur lesquels les juges ont traditionnellement la main. Ils sont encore moins qu’ils sont l’expression d’un excès de zèle du pouvoir législatif (en l’espèce sénatorial).

Il faut donc bien se mettre en tête que les règles spéciales ne chassent pas les règles générales. Une règle spéciale s’applique par priorité à une règle générale si les deux règles sont également applicables à une même situation et que leur application cumulative conduit à des solutions contradictoires. Autant dire que le compte y est rarement (ex. : prescription). Dans les prétoires, l’adage specialia generalibus derogant n’est pas l’arme fatale. Si les règles spéciales ne disent rien, le droit commun s’engouffre.

Les clauses abusives et les contrats d’adhésion

C’est à propos du dispositif de sanction des clauses abusives dans les contrats d’adhésion (art. 1110 et 1171 nouveaux du code civil) que la discussion sur l’articulation des règles spéciales et des règles générales a été la plus rude.

Le Rapport PILLET offre l’analyse suivante :

De façon à expliciter l’intention du législateur lors de la ratification de l’ordonnance et à assurer la cohérence du droit, votre commission indique que l’article 1171 du code civil ne peut s’appliquer dans les champs déjà couverts par l’article L. 442-6 du code de commerce et par l’article L. 212-1 du code de la consommation, lesquels permettent déjà de sanctionner les clauses abusives dans les contrats entre professionnels et dans les contrats de consommation. L’article 1171 du code civil a pour vocation de sanctionner les clauses abusives dans les contrats d’adhésion qui ne relèveraient pas déjà de ces deux dispositifs existants. La jurisprudence relative à l’article L. 442-6, en admettant la nullité, invite d’ailleurs à cette interprétation, selon laquelle le droit spécial admettant une nullité, le droit commun prévoyant la même sanction n’a pas à s’appliquer.

Pour autant, les juridictions s’inspireront très vraisemblablement de la jurisprudence déjà établie au titre des deux dispositifs existants dans le code de commerce et dans le code de la consommation pour former leur pratique jurisprudentielle sur le nouveau dispositif du code civil.

Dès lors, l’article 1171 du code civil ne s’applique qu’à un champ assez limité de contrats d’adhésion ne relevant ni des relations commerciales – les relations entre un producteur, commerçant, industriel ou artisan et un « partenaire commercial » – ni du code de la consommation – les relations entre un professionnel et un consommateur. Seraient principalement concernés les contrats entre particuliers ne relevant pas déjà d’un droit spécial ainsi que les contrats conclus par les professions libérales, dont l’activité ne relève pas du champ commercial. Seraient aussi concernés les baux commerciaux, lorsque des bailleurs institutionnels imposent des contrats-types sans en permettre la négociation.

Cette analyse n’est probablement pas exacte. Certes dans les relations de consommation, l’article L. 212-1 du code de la consommation sera préféré à l’article 1171 du code civil. Pas parce que l’un a priorité sur l’autre. Tout simplement parce que, pour un consommateur, il est plus intéressant d’invoquer ce texte. Le texte comporte une annexe réglementaire qui cible les clauses abusives, la CCA s’intéresse régulièrement aux contrats-types, il y a une jurisprudence maintenant bien constituée. Bref, le consommateur (plutôt l’association) sait de quoi il retourne.

Dans les relations entre professionnels, l’article 1171 du code civil s’appliquera. Il existe certes déjà un texte, l’article L.442-6 du code de commerce. Les deux textes n’ont ni les mêmes conditions, ni les mêmes effets. 1171 institue une police des contrats en servant de point d’appui à l’éradication des clauses abusives. L.442-6 permet une police des marchés par la mise en cause de la responsabilité des auteurs de pratiques déloyales, voire, sur l’action du Ministre par leur mise à l’amende. Il sera certes plaidé que les professionnels relevant de l’article L.442-6 ne peuvent faire l’objet d’actions en suppression de clauses abusives, mais je pense que cette plaidoirie tournera court.

Il faut donc se préparer. 2 questions : qu’est-ce qu’un contrat d’adhésion ? Qu’est-ce qu’un Qu’est-ce donc qu’une clause abusive ?

Un contrat d’adhésion. Il est une hypothèse simple : le formulaire qu’on imprime et sur lequel on demande au cocontractant, après avoir coché une case, suivi de la mention dactylographiée « je reconnais avoir pris connaissance des CG et les approuver », puis de la mention manuscrite « lu et approuvé », puis de la signature. A coup sûr, c’est un contrat d’adhésion.

L’hypothèse compliquée est celle dans laquelle certaines clauses ont été négociées, d’autres non.

Le rapport PILLET indique :

« Le critère distinctif pertinent est celui de la négociabilité des stipulations contractuelles et non celui, trop ambigu, de leur libre négociation, de façon à assurer une cohérence avec le dispositif de l’article 1171. Des stipulations qui ne sont pas négociables, déterminées unilatéralement par une partie, peuvent créer un déséquilibre significatif entre les droits des parties dans la mesure où la partie qui n’a pas pu les discuter doit les accepter, sans autre choix possible, si elle veut contracter. Il faut qu’une partie ne soit pas en mesure de négocier pour que la question du caractère abusif d’une clause puisse logiquement se poser ».

Appréciation in abstracto ou in concreto ? L’impossibilité de négocier doit-elle s’apprécier abstraction faite des circonstances, ce qui reviendrait par exemple à présumer que le non professionnel, en général, n’a pas la possibilité de négocier les clauses rédigées par le professionnel. L’impossibilité doit-elle s’apprécier au cas par cas ? Comme à chaque fois qu’on se pose la question, la jurisprudence se livre aux deux types d’appréciation. Si elle a des éléments concrets d’appréciation, elle donne la priorité à ces derniers (par ex., certaines clauses ont été modifiées, ce qui veut bien dire que certaines clauses de l’ensemble étaient négociables). Si elle manque d’éléments concrets, elle présume l’absence de négociabilité des clauses préimprimées.

Une clause abusive. C’est en principe une clause accessoire au contrat, qui déroge aux règles supplétives, à l’avantage du professionnel et sans contrepartie ou motif légitime. Ex. : dans un mandat, la clause de résiliation qui déroge au principe de libre révocabilité et de libre renonciation.

On peut conceptualiser l’abus, mais pas « au centime près ». L’abus reste une notion intuitive. Si le législateur a introduit la sanction des clauses abusives en 1978, c’est parce qu’à l’époque, certains trouvaient que les professionnels « abusaient », comme d’aucuns diraient « il y a de l’abus ». Cette inspiration familière demeure de sorte que, pour identifier l’abus, le sentiment premier d’un lecteur moyen à la lecture d’une clause reste un premier indicateur assez fiable. Lorsqu’un contrat de gestion locative prévoit que le gestionnaire à charge de « conserver les dépôts de garantie et en restituer au dépositaire vis-à-vis des locataires. Le cas échéant, le mandataire conservera à son profit tous les produits liés au placement de ces fonds ». Un mandant (qui a forcément tort) peut se dire qu’on se fait de la laine sur son dos. L’article 1936 du code civil dit d’ailleurs que « si la chose déposée a produit des fruits qui aient été perçus par le dépositaire, il est obligé de les restituer ». Le même article dit que le dépositaire « ne doit aucun intérêt de l’argent déposé », mais ceci ne veut pas dire que s’il investit les sommes déposées il puisse garder les fruits. On voit donc que la clause déroge, à l’avantage exclusif du professionnel. Il faut donc qu’il y ait une contrepartie. On la connaît : une baisse du prix ; il serait bon de pouvoir en justifier.

Information et sanction

L’information est partout et l’article 1112-1 du code civil, lui aussi issu de la réforme du 10 février 2016, peut être perçu comme la synthèse d’une multitude de textes imposant une telle obligation d’information, comme par exemple ceux du code de la consommation (art. L 111-1, L. 112-1).

La difficulté que présente ce genre de texte tient à l’insécurité juridique qu’il crée. Insécurité sur le contenu de l’exigence, insécurité sur les sanctions.

Insécurité sur le contenu. Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. On comprend à première lecture, ce qui est mauvais signe. Car en réalité, on sait bien que la langue des juristes est toujours en décalage avec le langage commun. « qualité substantielle » = « qualité convenue » ; « en fait de meuble possession vaut titre » = « la possession de bonne foi d’un meuble corporel donne la qualité de propriétaire à l’acquéreur a non domino ». Entre ce qu’on comprend à première lecture et la signification juridique du texte, il y a nécessairement un écart.

La difficulté est que cet écart, les juristes ne le maitrisent pas, au moins pour l’instant. Tous les mots soulèvent des difficultés d’interprétation : « information » (mise en garde ?), « importance », « déterminant », « légitimement », « confiance » ? On voit régulièrement poindre des contentieux (notamment sur les investissements défiscalisés) qui tournent autour de l’information et il est bien difficile d’en appréhender l’issue. Il faut savoir que le texte général est une reprise d’une brillante synthèse doctrinale (J. Ghestin). Simplement, une synthèse est une proposition intellectuelle dont la seule fonction est de décrire l’évolution du droit positif. Elever cette proposition savante au rang de règle de droit change la donne juridique sous deux angles :

  • Là où il n’y avait pas d’obligation d’informer, il y en a une ;
  • Là où il y avait une règle spéciale, il faut probablement prévoir un cumul avec la règle générale (se demander si les informations transmises au titre de l’application de la règle spéciale sont suffisantes au regard des attentes, au cas par cas, du client).

La solution prudente est la suivante : généraliser les formes prescrites par le code de la consommation (sans toutefois les viser, sinon il existe un risque de soumission volontaire), car en principe, elles sont plus exigeantes que l’OPI du code civil. Il faut cependant tenir compte des informations attendues du client qui demande du « surmesure ».

Insécurité sur la sanction. Il existe une échelle de sanctions et il n’est pas simple d’identifier l’échelon.

Le minimum : les sanctions civiles traditionnelles : nullité et responsabilité. Elles sont a priori peu dangereuses. Il faudra démontrer un vice du consentement pour obtenir la nullité (soit une erreur sur une qualité substantielle, soit un dol intentionnel). Il faudra démontrer un préjudice pour obtenir ne mise en jeu de la responsabilité. Or, si la prestation a été correctement fournie, le préjudice est souvent insignifiant.

Cette configuration est de plus en plus rare et l’idée que le bon professionnel peut se passer de formalités inutiles ne séduit plus vraiment.

Il existe souvent des sanctions pénales, ce qui a conduit les juges à faire un usage de plus en plus fréquent d’une sanction civile originale et qui présente tous les traits d’une « punition ». Il s’agit de la déchéance, sanction civile qui consiste à priver le professionnel de sa créance si l’information sur cette dernière est jugée insuffisante. Par ex. l’article L. 221-6 du code de la consommation prévoit que « si le professionnel n’a pas respecté ses obligations d’information concernant les frais supplémentaires mentionnés à l’article L. 112-3 et au 3° de l’article L. 221-5, le consommateur n’est pas tenu au paiement de ces frais ». La jurisprudence l’a fait plus récemment pour un syndic nommé chaque année en AG, faisant voter un budget prévisionnel comportant une ligne explicitant clairement le montant de ses honoraires. La cour de cassation a jugé l’information insuffisante et a sanctionné l’insuffisance d’information par la perte totale du droit aux honoraires, alors qu’aucune critique sur la qualité du travail accompli n’avait été retenue et que le montant des honoraires avait été préalablement jugé raisonnable. Quand on sait que le CA du syndic provenait essentiellement de mandats donnés par un ensemble de grandes copropriétés logées dans un même périmètre, que les syndicats s’étaient réunis en association et qu’ils ont ainsi obtenus le remboursement de l’intégralité de leurs honoraires, dans la seule limite alors de la prescription trentenaire, vous ne serez pas surpris d’apprendre que ce syndic a été mis en liquidation. On trouve aujourd’hui des jurisprudences moins désastreuses.

La sanction d’une insuffisance d’information donne ainsi lieu à un étalonnage dont la maitrise demeure incertaine. On se demande parfois si ce n’est pas fait exprès. Comme si l’incertitude de la sanction était la meilleure incitation à ne prendre aucun risque.

Copropriété : impossibilité pour un copropriétaire de demander l’annulation de l’assemblée générale en cas de vote en faveur de certaines résolutions

(Cass. 3ème civ. 14 mars 2019, FS-P+B+I, n°18-10.379).
Dans cette affaire, un copropriétaire a assigné le syndicat des copropriétaires en annulation d’une assemblée générale en invoquant le non-respect du délai de convocation prévu à l’article 9 du décret du 17 mars 1967. En appel, le copropriétaire a sollicité, subsidiairement, l’annulation de quinze décisions prises en assemblée générale.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a déclaré irrecevable la demande d’annulation de l’assemblée générale dans son intégralité au motif que le copropriétaire demandeur avait voté en faveur de certaines des résolutions.

Par ailleurs, la Cour d’appel a également déclaré irrecevable la demande subsidiaire d’annulation des quinze décisions en retenant que la demande était nouvelle, comme n’ayant pas été présentée en première instance, et avait été formée après l’expiration du délai de deux mois.

La Cour de cassation approuve la décision de la Cour d’appel sur le premier point.

En revanche, elle infirme l’arrêt d’appel sur le deuxième point, en reprochant à la Cour d’appel de ne pas avoir « recherché si la demande subsidiaire en annulation de quinze décisions n’était pas virtuellement comprise dans la demande en annulation de l’assemblée générale »

La Cour de cassation ne tranche toutefois pas cette question et renvoie les parties devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée.

La décision de la Cour d’appel est donc attendue sur ce point.

Baux commerciaux : transmission à l’acquéreur de l’immeuble de l’obligation d’effectuer des travaux en exécution d’une condamnation antérieure à la vente

(Cass. 3ème civ., 21 février 2019, FS-P+B+I, n° 18-11.553)
En l’espèce, le titulaire d’un bail portant sur un immeuble à usage commercial et d’habitation a obtenu en première instance la condamnation de son bailleur à faire réaliser des travaux dans l’immeuble.

Entre le jugement de première instance et l’arrêt d’appel, l’immeuble donnée à bail a été vendu par voie d’adjudication.

En appel, le locataire a demandé la condamnation in solidum du nouveau propriétaire, adjudicataire de l’immeuble donné à bail.

La Cour de cassation approuve l’arrêt de la Cour d’appel ayant fait droit à la demande du locataire en retenant que le nouveau propriétaire était, depuis son acquisition, tenu d’une obligation envers le locataire de réaliser les travaux nécessaires à la délivrance conforme du bien loué.

Construction : validité de la clause du contrat d’architecte excluant toute condamnation solidaire ou « in solidum » avec celle des autres intervenants

(Cass. 3ème civ., 14 février 2019, FS-P+B+I, n° 17-26.403)
Dans cette affaire, un maitre d’ouvrage a fait construire un immeuble en vue de le vendre par lots en l’état futur d’achèvement.

En cours de chantier, des infiltrations dans les logements en provenance des toitures-terrasses et des balcons ont été constatées.

Le maître d’ouvrage a déclaré le sinistre a son assureur dommages-ouvrage. Après expertise, l’assureur dommages-ouvrage, subrogé dans les droits du maitre d’ouvrage, a assigné les intervenants en remboursement des sommes versées au maître d’ouvrage.

En première instance, les différents responsables, notamment l’architecte de l’opération, ont été condamné in solidum à rembourser l’assureur dommages ouvrage.

La Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement de première instance au regard d’une clause figurant dans les conditions générales du contrat de l’architecte et qui excluait la solidarité en cas de pluralité de responsables sans viser expressément l’hypothèse de la condamnation in solidum.

Pour rappel, une condamnation solidaire exige par principe un fondement légal ou contractuel (articles 1310 et 1313 du Code civil). Toutefois, lorsque les conditions de la solidarité ne sont pas réunies, les constructeurs peuvent être condamnés « in solidum » en cas de concours de responsabilités et de dommage unique (voir par exemple Cass. 3ème civ. 23 septembre 2009, n°07-21634).

La Cour de cassation valide l’interprétation de la Cour d’appel qui a retenu que l’application de cette clause, qui excluait la solidarité en cas de pluralité de responsables, n’était pas limitée à la responsabilité solidaire et s’appliquait également à la responsabilité in solidum.

Construction : Preuve par tous moyens du caractère contradictoire de la réception

(Cass. 3ème civ., 7 mars. 2019, FS-P+B+I, n° 18-12.221)
Dans cette affaire, des maîtres d’ouvrage ont fait réaliser des travaux de rénovation et d’extension d’une maison et de construction d’un logement de gardien en confiant la majorité des travaux à une entreprise unique.

En cours de chantier, les maîtres d’ouvrage ont décidé de résilier le marché de cette entreprise et l’ont convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception adressée également le même jour en télécopie, afin d’établir un état des lieux valant procès-verbal de réception.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné in solidum le maître d’œuvre et l’entreprise au paiement du coût des travaux de reprise.

Devant la Cour de cassation, l’assureur de l’entreprise soutenait que l’absence de l’entreprise aux opérations de réception, quand bien même elle aurait été convoquée, privait la réception de tout caractère contradictoire.

Le pourvoi est rejeté au motif que l’entreprise avait été dûment convoquée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et par une télécopie du même jour.

La Cour de cassation considère que dans ces conditions, l’absence de l’entreprise ne pouvait priver la réception de son caractère contradictoire.

Urbanisme : Responsabilité de la commune en cas de délivrance d’un certificat d’urbanisme reprenant les dispositions illégales du plan local d’urbanisme (PLU)

(CE 18 février 2019 Commune de L’Houmeau, req. n° 414233 : mentionné aux tables du recueil Lebon)
Dans cette affaire, des particuliers ont fait l’acquisition d’une parcelle de terrain sur la commune de L’Houmeau (Charente Maritime) afin d’y construire une maison d’habitation.

Le permis de construire délivré pour la construction de cette maison a été annulé au motif qu’en dépit du classement partiel du terrain d’assiette par le plan local d’urbanisme (PLU) en zone UEb, où est autorisée la construction d’un habitat de faible hauteur, il méconnaissait certaines dispositions de la loi « Littoral » (article L. 146-4-III du code de l’urbanisme).

Les propriétaires du terrain ont alors demandé la condamnation de la commune à les indemniser des préjudices résultant, notamment, de la délivrance, avant leur acquisition, d’un certificat d’urbanisme qui mentionnait que la parcelle était partiellement située en zone UEb.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a fait droit à leur demande en jugeant que la mention du classement du terrain dans cette zone, alors qu’il ne pouvait être regardé comme un espace urbanisé entachait d’illégalité le certificat d’urbanisme.

Cet arrêt est confirmé par le Conseil d’Etat qui rappelle qu’ « en vertu d’un principe général, il incombe à l’autorité administrative de ne pas appliquer un règlement illégal. »

Demain, le Tribunal judiciaire (de première instance)

Xavier LagardeProfesseur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Avocat au Barreau de Paris (associé DLBA)

Le 23 janvier 2019, soit il y a quelques jours, l’Assemblée nationale a adopté à l’issue d’une procédure accélérée le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice. Ce projet est adopté malgré la contestation des « gens de justice ». Certaines inquiétudes sont sans doute légitimes. Il n’en reste pas moins que ce texte porte des avancées pour les justiciables en ce qu’il opère une simplification de dispositifs inutilement complexes.

Par exemple, les procédures d’injonction de payer seront désormais traitées de manière dématérialisée par un seul tribunal de grande instance spécialement désigné. A procédure simple, traitement simplifié. Autre innovation : « devant le tribunal de grande instance, la procédure peut, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite.». Il est de fait que pour certains dossiers, l’audience ajoute peu. S’en passer, ce qui suppose l’accord des deux parties, permettra probablement de réduire la durée des procédures et d’en alléger le coût. En réalité, un regard critique sur la réforme maintenant parvenue à son terme justifie plutôt de s’interroger sur l’adéquation des moyens à l’objectif officiel de simplification.

Cette question mérite tout spécialement d’être posée à propos de l’une des réformes d’importance consistant à fusionner les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance pour les réunir au sein d’un Tribunal judiciaire. Il est également prévu la spécialisation de certains tribunaux judiciaires, lorsqu’il y en a plusieurs par département, outre des « chambres de proximité » dont la compétence matérielle sera définie par décret, cependant qu’elles pourront « se voir attribuer (…) des compétences matérielles supplémentaires, par une décision conjointe du premier président de la cour d’appel et du procureur général près cette cour, après avis des chefs de juridiction et consultation du conseil de juridiction concernés. ». Dans le même ordre d’idée et à titre expérimental dans deux régions, il est prévu que les chefs de cour et les procureurs généraux « assurent (…) des fonctions d’animation et de coordination, sur un ressort pouvant s’étendre à celui de plusieurs cours d’appel situées au sein d’une même région ». Il est ajouté que « des cours peuvent être spécialement désignées par décret pour juger, sur le ressort de plusieurs cours d’appel d’une même région, les recours contre les décisions des juridictions de première instance rendues dans les matières civiles (…) en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières. » Nous n’y sommes pas encore tout-à-fait, mais l’horizon qui se dessine est le suivant : chaque département aura son tribunal judiciaire et ses antennes de proximité, chaque région comptera sa cour et ses annexes spécialisées. La carte administrative et la carte judiciaire ont ainsi vocation à coïncider et il est tout de même difficile de s’en plaindre. Au reste, au sein d’un même ressort, les anciens « lieux de justice », c’est-à-dire les anciens bâtiments dans lesquels se trouvent les actuels tribunaux d’instance, seront exploités par spécialité ce qui permet de concilier les exigences de l’aménagement du territoire avec une saine gestion des ressources humaines. Concrètement et même si nous n’y sommes pas encore, un chef de juridiction pourra demain décider de constituer sa juridiction en différents pôles et affecter ces derniers dans ses différents services de proximité répartis sur le territoire de son ressort.

En première instance et pour la plupart des affaires, le choix sera donc désormais entre tribunal judiciaire, tribunal de commerce et conseil de prud’hommes. Les difficultés de compétence se trouvent ainsi réduites. Pour autant, en pratique, tout n’est pas réglé.

Tout d’abord, les pouvoirs publics actuels, tout à leur volonté de simplification, ne sont peut-être pas au bout de leur peine. L’article 34 de la Constitution rappelle que « la loi fixe les règles concernant (…) la création de nouveaux ordres de juridiction ». De la notion d’ « ordre de juridiction », le Conseil constitutionnel retient une conception compréhensive, jugeant par exemple que « la compétence exclusive et limitée à la fixation des indemnités dues en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique » permet de considérer que « les chambres de l’expropriation, instituées par l’article 18 de la loi susvisée du 26 juillet 1962, (…) constituent, au sens de la disposition précitée de l’article 34 de la Constitution, un ordre nouveau de juridiction distinct de celui formé par les tribunaux de droit commun ». La compétence exclusive, rationae materiae, d’une juridiction, voire d’une chambre ou d’un service, contribue à la reconnaissance d’un ordre, alors surtout que sa composition est spécifique. Et selon le Conseil constitutionnel, la création d’un ordre ainsi compris suppose d’obtenir de bénéfice d’une légitimité parlementaire. Pour être fondé à juger de manière exclusive de telle ou telle matière, l’autorité judiciaire et les éléments qui la composent doivent ainsi compter sur le soutien du pouvoir législatif. Il n’est donc pas sûr, en conséquence, que la détermination par voie de décret d’une compétence matérielle exclusive à certains tribunaux judiciaires soit parfaitement conforme à la répartition des pouvoirs telle qu’elle est prévue par la Constitution. Les mécontents auront probablement du grain à moudre.

Ensuite et même si, comme c’est probable malgré de possibles aménagements consécutifs à l’aboutissement de certains recours, l’édifice demeure, toutes les difficultés de compétence ne seront pas réglées pour autant, spécialement en matière civile. Rappelons en premier lieu que la spécialisation par matières (par ex. en matière de pratiques restrictives de concurrence) de certains tribunaux géographiquement identifiés est une tendance qui sort renforcée de la réforme. Or, il est jugé le regroupement des contentieux affecte, non pas seulement la compétence, mais le pouvoir juridictionnel des tribunaux concernés. En second lieu, le tribunal judiciaire comprend, comme le tribunal de grande instance qui le précèdent, plusieurs juridictions qui nichent en son enceinte. Le président du tribunal est, entre autres, juge des référés et juge de l’exécution. Le juge aux affaires familiales, le juge des enfants et le juge de l’expropriation siègent au tribunal judiciaire, mais sont autant de « juges uniques ad hoc, dans le cadre de compétences ratione materiae bien délimitées ». Or, lorsque les attributions de ces juges sont délicates à délimiter, comme c’est le cas pour le juge de l’exécution, l’habitude a été prise en jurisprudence de les définir en référence à l’étendue de leur pouvoir juridictionnel. La porte est encore ouverte au traitement d’incidents portant sur l’attribution du pouvoir juridictionnel au Tribunal lui-même ou à l’un de ses services, voire un délégué du président, comme l’est le juge de l’exécution. Il n’est pas sûr que la Chancellerie ait bien perçu la persistance de ces difficultés. De lege ferenda, il est toutefois permis de penser que la détermination des attributions des différents juges siégeant dans une même juridiction pourrait susciter un traitement moins exigeant que celui réservé au pouvoir juridictionnel. La simplification de l’administration de la justice est donc en cours, elle est encore inachevée.

Responsabilité des constructeurs : Précision sur la prescription applicable aux recours entre locateurs d’ouvrage

(CA Paris 10 octobre 2018, n°15/24033)
Dans un arrêt du 10 octobre 2018, la Cour d’appel de Paris apporte un éclairage intéressant sur la question de la prescription applicable aux recours entre locateurs d’ouvrage. Pour rappel, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2008-561 portant réforme de la prescription en matière civile, le délai de prescription de l’action en responsabilité civile de droit commun se prescrit par 5 ans à compter de la manifestation du dommage (article 2224 du Code civil). Par ailleurs, l’article 1792-4-3 du Code civil issu de la même réforme dispose qu’en « dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ».

Un débat s’est ouvert sur le point de savoir si les recours entre locateurs d’ouvrage doivent obéir aux délais de l’article 2224 (5 ans à compter de la manifestation du dommage) ou de l’article 1792-4-3 du Code civil (10 ans à compter de la réception). Dans une décision empreinte de pédagogie, la Cour d’appel de Paris tranche cette question en jugeant que :

« L’article 1792-4-3 ne mentionne effectivement pas la qualité du demandeur exerçant les actions en responsabilité contre les constructeurs et leurs sous traitants en dehors de celles régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2.

Cet article figure toutefois dans un chapitre consacré au ‘contrat de louage d’ouvrage et d’industrie’ et parmi des dispositions régissant les actions en responsabilité exercées par le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage en vue de la réparation de désordres de construction.

L’article 1792-4-3 du code civil ne concerne donc que les actions exercées par le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur et non les actions en responsabilité (contractuelle ou délictuelle) formées par un constructeur à l’encontre d’un autre constructeur ou à l’encontre du sous traitant de ce dernier, de telles actions ne tendant pas à la réparation d’un désordre de construction mais à la fixation de la part contributive des constructeurs entre eux.

Il en résulte que les actions récursoires exercées par un constructeur contre un autre ou contre un sous traitant de ce dernier sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou quasi délictuelle sont régies, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 , par l’article 2224 du code civil et non par l’article 1792-4-3 du même code lequel ne concerne que les actions exercées par le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur. »

Une décision de la Cour de cassation est attendue afin de clore définitivement le débat.

Baux commerciaux : Précision sur l’étendue de l’obligation de délivrance du bailleur

(Cass. 3ème civ. 11 octobre 2018, n°17-18553)
Dans un arrêt du 11 octobre 2018, la Cour de cassation rappelle que la clause selon laquelle le preneur loue les lieux en l’état n’exonère pas le bailleur de son obligation de délivrance.

Dans cette affaire, un locataire sollicitait le remboursement de travaux qu’il avait dû effectuer pour raccorder les locaux loués au système de collecte des eaux usées et au réseau électrique. La Cour d’appel de Versailles avait rejeté sa demande au motif que le bail stipulait que le preneur déclare bien connaître les locaux loués et les prendre « dans l’état où ils se trouvent lors de son entrée en jouissance sans pouvoir exiger de travaux de quelque nature que ce soit ni remise en état de la part du bailleur ». La Cour de cassation rappelle tout d’abord qu’en application de l’article 1719 du Code civil, « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée. »

En conséquence, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles en jugeant qu’« en statuant ainsi, sans constater l’existence d’une stipulation expresse du bail mettant, à la charge du preneur, le coût des travaux de raccordement aux eaux usées et d’installation d’un raccordement au réseau électrique, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». Cet arrêt rappelle qu’il convient d’être particulièrement vigilant sur les conditions de prise de possession des lieux au moment de la rédaction et de la négociation des baux commerciaux.

Procédure civile– Précision sur la force probatoire d’un rapport d’expertise établi non contradictoirement (Cass. 3ème civ. 15 novembre 2018, pourvoi n°16-26172).

Dans un arrêt en date du 15 novembre 2018, la Cour de cassation confirme le caractère probatoire de rapports d’expertise établis non contradictoirement dès lors que les parties ont eu la possibilité d’en discuter librement dans le cadre de la procédure.

A l’occasion d’une demande de révision du loyer selon la valeur locative du bien, le locataire formait un pourvoi en cassation dans lequel il reprochait aux juges du fond de s’être fondés exclusivement sur deux rapports d’expertise qui n’avaient pas été réalisées contradictoirement : le premier ayant été établi lors d’une instance antérieure à laquelle le locataire n’était pas partie et le second unilatéralement à la demande du bailleur.

Le locataire invoquait une violation des principes du contradictoire et de l’égalité des armes prévus à l’article 16 du code de procédure civile et à l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour de cassation rejette le pourvoi du locataire en jugeant que « dès lors que ces éléments avaient été soumis à la libre discussion des parties, la cour d’appel, devant qui n’était pas invoquée une violation de l’article 6, § 1, précité, a pu, sans violer le principe de contradiction, se fonder sur le rapport d’expertise judiciaire établi lors d’une instance opposant la bailleresse à son associé et sur le rapport d’expertise établi unilatéralement à la demande de celle-ci, dont elle a apprécié souverainement la valeur et la portée. »

A retenir : le défaut de contradiction lors de l’expertise ne prive pas de force probante le rapport d’expertise que celui-ci soit le fait d’un expert judiciairement missionné ou d’un expert retenu par l’une des parties.